Document de principes
Affichage : le 15 mai 2019
Giuseppina Di Meglio, Elisabeth Yorke; Société canadienne de pédiatrie,, Comité d’action pour les enfants et les adolescents
Paediatr Child Health 2019 24(3):165–169.
L’accès opportun à une contraception efficace réduit l’incidence de grossesses non désirées. Le coût est un obstacle important à la contraception chez les jeunes du Canada. Bon nombre doivent payer leur contraception de leur poche puisqu’ils n’ont pas d’assurance médicaments, que leur assurance ne rembourse pas les contraceptifs qu’ils souhaitent prendre ou qu’ils désirent se procurer des contraceptifs à l’insu de leurs parents. Pour corriger ces obstacles et réduire le taux de grossesses non désirées, le présent document de principes recommande que tous les jeunes aient accès à la contraception confidentiellement et sans frais jusqu’à l’âge de 25 ans et présente des mesures pour réaliser cet objectif partout au Canada.
Mots-clés : Adolescent; Contraception; Health insurance; Universal coverage; Young adult
L’accès à la contraception est reconnu comme un droit fondamental de la personne [1]. Lorsque les femmes peuvent choisir si elles veulent des enfants et le moment d’en avoir, elles ont un meilleur contrôle sur leur corps et leur avenir. Les grossesses non désirées peuvent faire dérailler les projets d’une vie, particulièrement à l’adolescence et au début de l’âge adulte. La parentalité à l’adolescence s’associe à un niveau de scolarité moins élevé, à un revenu plus faible et à un recours accru aux programmes d’aide sociale [2]. Mis à part les coûts personnels, les grossesses non désirées représentent un fardeau onéreux pour les services sociaux et les services de santé canadiens.
Au Canada, la plupart des grossesses à l’adolescence ne sont pas désirées (tableau 1) [3]–[5]. Si l’on extrapole à partir de récents calculs sur les coûts médicaux directs moyens d’une grossesse non désirée à l’âge adulte, qui s’élevait à 2129 $ [6], les coûts directs des grossesses non désirées chez les adolescentes et les jeunes femmes dépassent probablement les 125 millions de dollars par année.
Une contraception régulière réduit considérablement le risque de grossesse non désirée. Pourtant, plus de 25 % des adolescentes et des jeunes femmes qui ne souhaitent pas devenir enceintes affirment ne pas utiliser de contraception à chaque relation sexuelle, et certaines n’en utilisent jamais (tableau 2) [7]. En général, les types de contraception se classent comme suit :
Au Canada, les systèmes intra-utérins et les dispositifs intra-utérins sont les seuls CRLDA sur le marché. Puisque le taux habituel d’échec de ces contraceptifs est de moins de 1 % (tableau 3) [6][8], ils sont recommandés en première intention [9]. Cependant, malgré leur efficacité démontrée, la plupart des adolescentes utilisent plutôt les CRcDA [7], dont le taux habituel d’échec se situe entre 6 % et 9 % [8]. Un document de principes de la SCP, intitulé La contraception chez les adolescents canadiens, est un guide pour optimiser le recours à la contraception à l’adolescence (www.cps.ca/fr/documents/position/contraception) [9].
Tableau 3. Le coût de la contraception au Canada* | ||||
Méthode | Taux d’échec habituel à l’utilisation† | Coût à l’unité | Unités par année | Coût par année |
Contraceptif oral | 9 % | 11 $ | 13 | 143 $ |
Anneau vaginal | 9 % | 15 $ | 13 | 195 $ |
Timbre transdermique | 9 % | 15 $ | 13 | 195 $ |
Injection intramusculaire (acétate de médroxyprogestérone-retard) |
6 % | 27 $ | 4 | 108 $ |
Système intra-utérin (lévonorgestrel 20 mcg/jour – efficace pendant cinq ans) |
0,2 % | 319 $ | 1 | 63 $ |
Dispositif intra-utérin (En cuivre – efficace pendant cinq ans) |
0,8 % | 60 $ | 1 | 12 $ |
Préservatif pour homme | 18 % | 1 $ | 83 | 83 $ |
Préservatif pour femme | 21 % | 4 $ | 83 | 332 $ |
Diaphragme | 12 % | 30 $ | 1 | 30 $ |
*Les frais d’exécution d’ordonnance ne sont pas inclus. †D’après des couples types qui commencent à utiliser une méthode (mais pas nécessairement pour la première fois) et qui vivent une grossesse non désirée au cours de l’année qui suit (s’ils n’ont pas arrêté la contraception pour une autre raison). |
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Traduit et adapté des références [6][8] |
De nombreux facteurs individuels, culturels et sociétaux influent sur la décision d’utiliser la contraception ainsi que sur le choix et l’observance de la méthode contraceptive. Selon les dispensateurs de soins canadiens qui s’occupent de contraception, le coût est le principal obstacle à l’accès et touche les jeunes de façon disproportionnée [10]. Ceux-ci sont beaucoup plus susceptibles d’utiliser des préservatifs lorsqu’ils leur sont offerts sans frais [11][12]. Le coût annualisé des CRLDA est plus faible que celui des CRcDA (tableau 3), mais en raison de leur prix initial élevé, les adolescentes et les jeunes femmes optent davantage pour les CRcDA [13]–[15]. Cependant, lorsque toutes les méthodes contraceptives leur sont offertes sans frais, celles-ci préfèrent une CRLDA dans plus des deux tiers des cas [16]. Une contraception sans frais s’associe manifestement à une baisse d’incidence des grossesses à l’adolescence [16].
Les régimes d’assurance maladie provinciaux et territoriaux couvrent le coût des médicaments inscrits sur leur liste pour les femmes défavorisées sur le plan économique, qui reçoivent des prestations d’aide sociale ou qui se trouvent dans ces deux situations. Les populations autochtones sont couvertes en vertu du Programme fédéral des services de santé non assurés. Toutefois, les divers régimes ne couvrent pas toutes les méthodes contraceptives. Puisque le Programme commun d’évaluation des médicaments de l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé a conclu que les timbres transdermiques [17] et les anneaux vaginaux [18] n’apportent pas plus d’avantages que les contraceptifs oraux, ces méthodes ne sont pas toutes couvertes de la même façon. De même, les dispositifs intra-utérins en cuivre ne sont pas considérés comme des médicaments et ne sont pas tous couverts de la même façon. Les préservatifs, essen tiels pour accroître l’efficacité des CRcDA et prévenir les infections transmises sexuellement, sont rarement couverts.
Les femmes peuvent également bénéficier d’un régime d’assurance médicaments privé offert par leur employeur ou faire partie des personnes à charge du régime de leur conjoint. Cependant, les assureurs privés ne remboursent pas tous les contraceptifs, et lorsqu’ils le font, ils ne couvrent généralement que 70 % à 80 % des coûts. La différence peut représenter un obstacle important et dissuader les femmes d’opter pour un contraceptif intra-utérin, par exemple [13].
Dans la plupart des régions sociosanitaires, une forte proportion de la population ne dispose ni d’assurance médicaments privée ni d’assurance médicaments publique, et de nombreuses adolescentes et jeunes femmes sont forcées de payer des frais initiaux élevés pour leur contraception (tableau 3) ou même de s’en passer.
Un jeune à charge qui désire accéder confidentiellement à la contraception affronte un obstacle supplémentaire. Lorsqu’il utilise un régime d’assurance médicaments privé, le détenteur de la police (généralement un parent) reçoit un rapport. Ainsi, les jeunes paient généralement leur contraception de leur poche pour préserver leur confidentialité, même lorsqu’ils ont accès à une assurance médicaments.
Au Canada, des programmes disparates tentent de pallier les obstacles financiers par l’entremise de services scolaires, de dispensaires publics pour adolescents et d’organismes à but non lucratif qui offrent des conseils, des ordonnances et des contraceptifs à faible coût ou sans frais. En raison de restrictions budgétaires, bon nombre de ces programmes offrent une sélection très limitée de contraceptifs sans frais, et les contraceptifs intra-utérins sont rarement proposés. Les jeunes qui dépendent de ces programmes sont plus susceptibles d’utiliser la contraception de manière irrégulière, car dans bien des cas, on leur remet une quantité de contraceptifs qui durera seulement quelques mois [19]. Par ailleurs, en obligeant les jeunes à recourir à ces cliniques plutôt que de leur offrir des contraceptifs sans frais à tous les points de contact du système de santé, on nuit à la fois à la mise en place et à l’observance de la contraception.
Les coûts ne devraient pas être un obstacle à l’utilisation régulière et opportune d’une contraception efficace chez les jeunes au Canada. Tant l’Association médicale canadienne [20] que la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada [21] ont proposé que les régimes de santé fédéral, provinciaux et territoriaux couvrent tous les contraceptifs pour toutes les femmes canadiennes. On estime que la couverture universelle des contraceptifs accroîtrait les dépenses publiques de 157 millions de dollars par année [22], mais que cette somme serait largement compensée par l’épargne de 320 millions de dollars en soins médicaux directs liée aux grossesses non désirées [6].
Si les provinces et les territoires optent pour un modèle public-privé de couverture des contraceptifs, ils doivent s’assurer que les jeunes dotés d’une assurance médicaments privée profitent d’une égalité d’accès comparable à tous les contraceptifs, en toute confidentialité et sans frais. Lorsque leur famille souscrit à une assurance familiale privée, les jeunes doivent pouvoir la nommer et y accéder facilement, sans problème et sans l’intervention d’un parent. Les assureurs privés devraient couvrir, au point d’achat, la totalité des coûts de tous les contraceptifs que se procurent les jeunes. Lorsque ceux-ci sont tenus de payer leurs contraceptifs sur place et sont remboursés plus tard, ils affrontent des obstacles sur le plan des coûts et de la confidentialité. Enfin, pour protéger la confidentialité, il faut adopter des lois pour empêcher les assureurs privés d’informer le détenteur principal de la police que des personnes à sa charge ont acheté des contraceptifs. Certains États américains offrent déjà cette protection [23].
Plusieurs organisations des États-Unis prônent l’accès aux CRcDA (contraceptif oral, timbre ou anneau) en vente libre afin d’atténuer le recours intermittent aux contraceptifs à cause d’un accès limité aux prescripteurs [24][25]. Cependant, cet accès en vente libre peut également accroître les coûts pour les adolescentes et les jeunes femmes, puisque les assureurs ont tendance à cesser de couvrir les produits pharmaceutiques en vente libre [26][27]. Si les CRcDA étaient offerts en vente libre au Canada, des lois devraient obliger les régimes d’assurance privés et publics de continuer à les couvrir pour les jeunes. Le Québec a adopté un système parallèle aux médicaments en vente libre, soit la prescription de CRcDA par les pharmaciens.
Conjointement avec les mesures législatives, les cliniques où sont prescrits de forts volumes de contraceptifs devraient envisager d’en faire des réserves pour en remettre aux jeunes sur place. Même chez les adultes, la remise d’une provision de contraceptifs oraux pour une période d’un an au moment du rendez-vous accroît l’observance par rapport à la remise d’une ordonnance similaire (qui, par ailleurs, est préférable à la remise de contraceptifs pour quelques mois) [19][28]. De plus, lorsque les adolescentes et les jeunes femmes utilisent les contraceptifs oraux ou injectables immédiatement plutôt qu’après leurs prochaines règles, elles sont plus susceptibles d’avoir conservé la même méthode contraceptive deux mois plus tard [29][30]. Il n’existe pas encore de données comparables sur les contraceptifs intra-utérins chez les adolescentes et les jeunes femmes qui n’ont jamais été enceintes, mais l’insertion rapide d’un tel contraceptif après un accouchement [31] ou un avortement [32] s’associe à une plus forte probabilité d’observance.
La Société canadienne de pédiatrie appuie la remise de contraceptifs sans frais à toutes les femmes en âge de procréer. Puisque les jeunes sont particulièrement vulnérables aux obstacles en matière de coût et de confidentialité, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux doivent agir rapidement pour leur garantir l’accès universel, confidentiel et sans frais aux contraceptifs, y compris les méthodes intra-utérines et les préservatifs. Les mesures suivantes sont préconisées à cet effet :
1. Les régimes d’assurance maladie fédéral, provinciaux et territoriaux doivent couvrir le coût total de tous les contraceptifs (y compris les préservatifs) jusqu’à l’âge de 25 ans.
2. Les ministères de la Santé doivent fournir également des contraceptifs sans frais aux dispensaires publics pour adolescents afin d’en soutenir la distribution au point de service et d’en faciliter l’accès.
3. Les ministères de la Santé qui adoptent des modèles public-privé pour couvrir les contraceptifs doivent s’assurer que les jeunes assurés par un régime privé profitent de l’égalité d’accès aux contraceptifs, en toute confidentialité et sans frais. Pour ce faire, ils doivent :
a. créer un mécanisme pour que les pharmaciens déterminent qui est l’assureur du jeune, afin de pouvoir lui remettre les contraceptifs sans en informer les parents;
b. exiger que les assureurs privés couvrent le coût total de tous les contraceptifs au point de vente, jusqu’à ce que les jeunes atteignent l’âge de 25 ans;
c. exiger que les assureurs privés protègent la confidentialité des jeunes en ne déclarant pas l’achat de contraceptifs au principal détenteur de l’assurance.
4. Si les contraceptifs hormonaux par voie orale ou à courte durée d’action deviennent offerts en vente libre, la loi devrait garantir que tous les régimes d’assurance médicaments provinciaux et privés continuent de les couvrir sans frais jusqu’à l’âge de 25 ans.
Le comité d’action pour les enfants et les adolescents (CAEA) et le comité de bioéthique de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes, de même que des représentants du Collège des médecins de famille du Canada et des membres du comité consultatif des médecins de famille, du comité canadien de la sous-spécialité [sic] de l’obstétrique et de la gynécologie pédiatrique et de l’adolescence et du comité sur la santé sexuelle et l’équité en matière de reproduction de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada.
Membres : Giuseppina Di Meglio MD (membre sortante), Natasha Johnson MD (membre sortante), Margo Lane MD, Karen Leis MD (représentante du conseil), Mark Norris MD, Alene Toulany MD, Ellie Vyver MD (présidente), Elisabeth (Lisette) Yorke MD (membre résidente)
Représentante : Megan Harrison MD, section de la santé de l’adolescent de la SCP
Auteures principales : Giuseppina Di Meglio MD, Elisabeth Yorke MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 7 février 2024