Point de pratique
Affichage : le 24 janvier 2019
Elissa M. Abrams, Kyla Hildebrand, Becky Blair, Edmond S. Chan; Société canadienne de pédiatrie, Section des allergies
Paediatr Child Health 2019 24(1):57. (Résumé)
On estime que les allergies alimentaires touchent de 2 % à 10 % de la population, et les données probantes indiquent que leur prévalence augmente au fil du temps. La prévention des allergies alimentaires est devenue un important objectif de santé publique. Santé Canada recommande actuellement l’allaitement exclusif des nourrissons jusqu’à l’âge de six mois, tout en convenant que dans les faits, les aliments complémentaires peuvent être introduits quelques semaines plus tôt lorsque le nourrisson présente des signes de réceptivité à consommer des aliments solides. Selon des données émergentes, l’introduction précoce d’aliments solides entre l’âge de quatre et six mois préviendrait les allergies alimentaires chez les nourrissons à haut risque, particulièrement aux œufs et aux arachides. Chez les nourrissons à haut risque de maladie allergique, il est désormais recommandé d’introduire les aliments allergènes solides courants vers l’âge de six mois, mais pas avant l’âge de quatre mois, en fonction de la réceptivité du nourrisson à consommer des aliments solides. Il faut encourager et soutenir la poursuite de l’allaitement en raison de ses nombreux bienfaits pour la santé.
Mots-clés : Allergy prevention; Eczema; Food allergy
On estime que les allergies alimentaires touchent de 2 % à 10 % de la population [1]. Un sondage national a établi que la prévalence autodéclarée d’allergies alimentaires s’élevait à 7,5 % au Canada [2]. Par conséquent, la prévention des allergies alimentaires est devenue un objectif de santé publique important. En théorie, n’importe quel aliment peut provoquer une réaction allergique, mais les principaux allergènes chez les enfants sont le lait de vache, les œufs, les arachides, les noix, les poissons, les fruits de mer, le blé et le soja [3]. En 2013, un document de principes conjoint de la Société canadienne de pédiatrie (SCP) et de la Société canadienne des allergies et de l’immunologie clinique recommandait l’allaitement exclusif des nourrissons à haut risque d’allergie alimentaire jusqu’à l’âge de six mois [4], conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé à l’égard de l’allaitement exclusif [5]. Cependant, selon des données probantes publiées depuis 2013, l’introduction d’aliments allergènes solides avant l’âge de six mois chez les nourrissons à haut risque contribuerait à prévenir l’apparition d’une allergie alimentaire, particulièrement aux œufs et aux arachides [6]-[8]. Le présent point de pratique vise à 1) passer en revue les données probantes démontrant que l’introduction précoce des principaux aliments allergènes (avant l’âge de six mois) chez les nourrissons à haut risque ayant une histoire d’allergie personnelle ou dans la famille immédiate peut prévenir les allergies alimentaires et 2) harmoniser les recommandations de la SCP et de Santé Canada [9].
À l’heure actuelle, il n’y a pas de consensus international sur la définition de nourrisson à haut risque d’allergie alimentaire. Le document de principes de la SCP publié en 2013 et d’autres lignes directrices internationales le définissent comme un nourrisson dont un parent au premier degré présente une maladie allergique [4][10]. En revanche, dans un récent essai aléatoire et contrôlé, les nourrissons à haut risque d’allergie aux arachides étaient définis comme ceux qui étaient atteints d’un grave eczéma, d’une allergie aux œufs ou de ces deux affections [6], parce qu’une étude de validation considère ces marqueurs comme les principaux facteurs de risque d’allergie aux arachides [11]. Les nourrissons atteints d’eczéma léger à modéré peuvent également être vulnérables aux allergies alimentaires [12]. Ainsi, la définition de nourrisson « à risque » et « à haut risque » devient de plus en plus floue. Certains nourrissons, tels que ceux qui sont atteints d’un eczéma grave ou d’une allergie aux œufs, sont peut-être plus vulnérables à une allergie alimentaire, et particulièrement à une allergie aux arachides. Dans le présent point de pratique, le nourrisson à haut risque correspond à la définition suivante : nourrisson ayant une histoire personnelle d’atopie, y compris l’eczéma, ou dont un parent au premier degré est atteint d’atopie (p. ex., eczéma, allergie alimentaire, rhinite allergique ou asthme).
Depuis 2013, des données probantes issues d’essais aléatoires appuient de plus en plus l’introduction précoce (avant l’âge de six mois) d’aliments allergènes pour prévenir les allergies alimentaires, particulièrement aux arachides et aux œufs [6]-[8].
Dans une récente analyse systématique et méta-analyse, des preuves modérées attestent que l’introduction précoce d’œufs (entre l’âge de quatre et six mois) réduisait le taux d’allergie aux œufs (risque relatif (RR)=0,56 (intervalle de confiance (IC) à 95 % : 0,36 à 0,87)) [8]. D’autres preuves modérées (reposant sur deux études) indiquent que l’introduction précoce d’arachides (entre l’âge de quatre et onze mois) réduisait le taux d’allergie aux arachides (RR=0,29 (IC à 95 % : 0,11 à 0,74))) [8].
Pour ce qui est des arachides, l’étude LEAP (abréviation de Learning Early About Peanut, ou apprendre tôt sur les arachides), la plus frappante jusqu’à présent, est la première étude aléatoire et contrôlée à démontrer que l’introduction précoce d’arachides peut prévenir l’allergie aux arachides chez les nourrissons à haut risque [6]. Dans cette étude, 640 nourrissons à haut risque du Royaume-Uni (définis par un eczéma grave, une allergie aux œufs ou ces deux affections) ont été répartis au hasard entre l’introduction précoce (entre l’âge de quatre et onze mois) ou tardive (évitement jusqu’à l’âge de cinq ans) des arachides, puis ont été stratifiés d’après la dimension des résultats aux intradermoréactions. Tous les nourrissons dont l’intradermoréaction aux arachides était d’un diamètre d’au moins 5 mm étaient exclus. Les résultats ont démontré une réduction du risque relatif global d’allergie aux arachides pouvant atteindre 80 % grâce à l’introduction précoce des arachides. Cette réduction s’observait à la fois chez les nourrissons dont l’intradermoréaction était négative (13,7 % par rapport à 1,9 %; P<0,001) et chez ceux dont l’intradermoréaction était positive, c’est-à-dire qu’elle provoquait la formation d’une papule de 1 mm à 4 mm (35,3 % par rapport à 10,6 %; P=0,004).
Plusieurs études aléatoires ont porté sur l’effet de l’introduction précoce des œufs chez les nourrissons à risque. L’étude PETIT (abréviation de Prevention of Egg allergy with Tiny amount InTake, ou prévention de l’allergie aux œufs par une ingestion minimale) auprès de 121 nourrissons japonais a établi que l’ingestion quotidienne de poudre d’œuf chauffée à compter de l’âge de six mois réduisait radicalement le taux d’allergie aux œufs par rapport à l’évitement complet des œufs jusqu’à l’âge d’un an (9 % par rapport à 38 %; P=0,0012) [7]. En revanche, dans l’étude STAR (abréviation de Solids Timing for Allergy Research, ou recherche sur le moment d’introduire les solides pour éviter les allergies), 820 nourrissons courant un risque héréditaire d’allergie ont été répartis au hasard entre un groupe qui a ingéré quotidiennement de la poudre d’œuf pasteurisé entre l’âge de quatre et six mois et un autre qui n’en a pas ingéré avant l’âge de dix mois. Les chercheurs ont remarqué une tendance à la baisse du taux d’allergie aux œufs à l’âge d’un an dans le groupe qui avait commencé à prendre de la poudre d’œuf plus tôt (7 % par rapport à 10,3 %; P=0,20), mais également un taux plus élevé de réactions allergiques à la poudre d’œuf dans ce groupe tout au long de l’étude (6,1 % par rapport à 1,5 % dans le groupe prenant un placebo) [13].
Dans l’ensemble, peu de données disponibles traitent de la comparaison entre l’introduction des aliments allergènes courants à l’âge de quatre mois et leur introduction à l’âge de six mois. L’étude aléatoire et contrôlée EAT (abréviation de Enquiring About Tolerance, ou enquête sur la tolérance) a porté sur l’introduction très précoce d’aliments allergènes [14]. On y répartissait au hasard 1 303 nourrissons de la population générale entre l’introduction précoce (à l’âge de trois mois) et standard (à l’âge de six mois) de six aliments souvent allergènes : lait, œufs, blé, arachides, poisson et sésame. Les chercheurs n’ont pas constaté de différence du taux d’allergie alimentaire dans l’analyse en intention de traiter. Cependant, dans l’analyse par protocole, ils ont observé une différence entre les œufs (1,4 % par rapport à 5,5 %; p=0,009) et les arachides (0 % par rapport à 2,5 %; p=0,003). Il faut souligner les limites de l’analyse par protocole, de même que l’ampleur du problème qu’a représenté l’adhésion aux indications dans cette étude, puisque l’introduction précoce des six aliments allergènes a bel et bien été respectées chez seulement 42,8 % des nourrissons du groupe d’introduction précoce.
Des études sont en cours, dont l’étude européenne PreventADALL (abréviation de Preventing Atopic Dermatitis and ALLergies in Children, ou prévention de la dermatite atopique et les allergies chez les enfants), qui répartit au hasard les nourrissons entre l’introduction précoce d’œuf, de lait, de blé et d’arachides avant l’âge de quatre mois, l’utilisation régulière d’émollients ou ces deux protocoles. L’issue clinique primaire est la présence d’eczéma ou d’allergie alimentaire (ClinicalTrials.gov ID NCT02449850).
Bref, selon des données émergentes tirées d’essais aléatoires qui incluaient des nourrissons de moins de six mois, l’introduction plus précoce d’aliments allergènes solides pourrait prévenir l’allergie aux arachides et l’allergie aux œufs chez les nourrissons à haut risque. Les preuves manquent à l’égard des autres aliments allergènes, même si certaines études d’observation appuient l’introduction précoce des produits du blé et du lait de vache pour prévenir ces allergies [15]-[17].
Enfin, quel que soit le moment choisi pour introduire les aliments complémentaires, l’allaitement doit être protégé, promu et soutenu au moins jusqu’à l’âge de deux ans en raison de ses bienfaits immunologiques et développementaux uniques [18][19]. D’autres essais aléatoires et contrôlés devront être réalisés pour déterminer si l’introduction plus précoce d’aliments allergènes est également bénéfique pour prévenir les allergies chez les nourrissons à plus faible risque [20].
Les conseils de pratique suivants reposent sur les données probantes qui appuient l’introduction précoce d’aliments allergènes courants chez les nourrissons à haut risque :
Le comité de la pédiatrie communautaire et le comité de nutrition et de gastroentérologie de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent point de pratique.
Membres du comité directeur : Elissa M. Abrams MD (présidente), Nestor Cisneros MD (président sortant), Edmond S. Chan MD (secrétaire-trésorier)
Auteurs principaux : Elissa M. Abrams MD, Kyla Hildebrand MD, Becky Blair (inf., M. Sc.), Edmond S. Chan MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 7 février 2024