Point de pratique
Affichage : le 20 septembre 2021
Angie Ip, Elizabeth C.R. Mickelson, Jill G. Zwicker; Société canadienne de pédiatrie, Section de la pédiatrie du développement
Paediatr Child Health 2021(6): 366-374
Le trouble développemental de la coordination (TDC) est une affection neurodéveloppementale qui touche de 5 % à 6 % des enfants d’âge scolaire. Il peut avoir des effets considérables sur le début du développement et le fonctionnement tout au long de la vie. Les données probantes appuient des interventions prometteuses, mais ce trouble continue d’être sous-estimé et sous-diagnostiqué. Les pédiatres jouent un rôle important dans son diagnostic et sa prise en charge. Le présent point de pratique et les tableaux qui l’accompagnent visent à aider les pédiatres à diagnostiquer et prendre en charge les cas de TDC non compliqué.
Mots-clés : diagnostic; pédiatrie communautaire; trouble développemental de la coordination
Le trouble développemental de la coordination (TDC) est un trouble neurodéveloppemental courant caractérisé par des difficultés d’apprentissage de la motricité globale ou fine, lesquelles entraînent une déficience fonctionnelle de la performance scolaire ou des activités de la vie quotidienne. Le diagnostic de TDC ne peut être confirmé que si les troubles moteurs ne sont pas attribuables à un problème de santé ou à une maladie comme la paralysie cérébrale (PC) ou une déficience visuelle, mais que l’enfant obtient un score faible aux tests moteurs standardisés et présente des troubles moteurs dès le début de son développement [1]. Un récent sondage auprès des pédiatres de la Société canadienne de pédiatrie (n=152) a révélé que la plupart d’entre eux déclarent peu connaître les critères diagnostiques de TDC; 86 % ne sont pas informés des directives internationales sur le TDC (Kubow et Zwicker, données non publiées).
Le présent point de pratique définit le TDC, décrit le diagnostic et la prise en charge des cas non compliqués, aborde les diagnostics différentiels et indique quand il faut procéder à des explorations plus approfondies ou diriger le patient vers d’autres services.
Le TDC a des effets importants sur le début du développement et a souvent des répercussions permanentes sur le fonctionnement social, la santé physique et mentale, la réussite scolaire et professionnelle et la qualité de vie liée à la santé [2][3]. Selon les données probantes, certaines interventions de réadaptation sont prometteuses en cas de TDC, et c’est pourquoi il est important que les pédiatres sachent déceler et diagnostiquer ce trouble le plus tôt possible. Au tableau 1 sont décrits les quatre critères diagnostiques à observer pour poser un diagnostic de TDC [4], de même que les outils d’évaluation recommandés [2]. Le TDC se manifeste différemment selon les individus. Ainsi, les systèmes de motricité fine, globale et orale ne sont pas nécessairement tous atteints ou le sont à divers degrés.
Critère diagnostique du DSM-5
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Comment ce critère est-il évalué? |
A. L’acquisition et l’exécution de bonnes compétences de coordination motrice sont nettement inférieures au niveau escompté pour l’âge chronologique compte tenu des occasions d’apprendre et d’utiliser ces compétences. Les difficultés se traduisent par de la maladresse, de la lenteur ou de l’imprécision dans la réalisation des tâches motrices (p. ex., attraper un objet, utiliser des ciseaux, écrire à la main, faire du vélo ou participer à des sports).
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Une évaluation motrice standardisée est effectuée en ergothérapie ou en physiothérapie, généralement au moyen du MABC-2 [5]* |
B. Les déficiences des compétences motrices interfèrent de façon significative et persistante avec les activités de la vie quotidienne correspondant à l’âge et ont un impact sur les performances scolaires, les activités préprofessionnelles et professionnelles, les loisirs et les jeux.
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En plus de procéder à l’anamnèse, des questionnaires effectués auprès des parents, comme le QTAC (5 à 15 ans) ou le petit QTAC (3 à 4 ans) [6], peuvent contribuer à déterminer les répercussions fonctionnelles des troubles moteurs. Les scores sont interprétés comme « indication de TDC », « soupçon de TDC » ou « probablement pas de TDC ». |
C. Le début des symptômes date de la période développementale précoce.
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Procéder à l’histoire développementale. Les étapes du développement moteur sont souvent atteintes à l’âge prévu, mais il faut rechercher les difficultés à assimiler les compétences motrices. |
D. Les déficiences des compétences motrices ne sont pas mieux expliquées par une déficience intellectuelle, une déficience visuelle ou une affection neurologique motrice (p. ex., une paralysie cérébrale, une dystrophie musculaire, une maladie dégénérative).
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S’assurer que la vision a été évaluée. Procéder à un examen neurologique. Dans certains cas, un test de QI standardisé doit être effectué en psychologie [1]. |
Traduction et adaptation autorisées de la référence [2]
*Un score total ≤16e percentile au MABC-2 peut être indicateur d’un TDC (≥6 ans). Cependant, un enfant de cet âge qui obtient un score ≤5e percentile dans l’un des sous-domaines (p. ex., dextérité manuelle, équilibre), quel que soit son score total, répond également au critère A [1][10]. Les enfants de trois à cinq ans doivent obtenir un score total ≤5e percentile au MABC-2 pour répondre au critère A, lors de deux évaluations effectuées à trois mois d’écart [1][10].
DSM Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux; MABC-2 Batterie d’évaluation du mouvement chez l’enfant – 2e édition (version française de Movement Assessment Battery for Children-2); QTAC questionnaire sur le trouble de l’acquisition de la coordination; TDC trouble développemental de la coordination |
La prévalence de TDC est plus élevée chez les garçons que chez les filles (ratio de deux à sept garçons par fille) [4]. Une naissance prématurée constitue un facteur de risque important [7], le risque de TDC augmentant proportionnellement avec la baisse de l’âge gestationnel [8]. Des affections cooccurrentes sont souvent associées au TDC, y compris le trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (TDA/H), le trouble du spectre de l’autisme, les troubles spécifiques des apprentissages et les troubles du langage [9][10]. Les enfants ayant un TDC risquent également davantage de manifester des symptômes d’anxiété et de dépression [1][2].
Le diagnostic de TDC repose sur une démarche d’équipe, mais les médecins ont un rôle essentiel à y jouer, car ce sont les seuls professionnels de la santé à pouvoir évaluer le critère D [4]. Dans l’idéal, les pédiatres doivent connaître les résultats des critères A (tests des compétences motrices), B (répercussions sur le fonctionnement) et C (apparition des symptômes au début du développement) à intégrer au moment de la consultation. Même après avoir terminé la consultation et obtenu les résultats des tests moteurs effectués en ergothérapie ou en physiothérapie, de nombreux médecins ne se sentent pas à l’aise de poser un diagnostic de TDC [11]. Pour corriger cette lacune, le DCD Toolkit for Pediatricians (outil sur le TDC pour les pédiatres), une ressource en ligne gratuite offerte seulement en anglais, résume les données probantes à utiliser pour en parvenir au diagnostic [10].
Pour poser un diagnostic de TDC, il faut s’assurer que les déficiences des compétences motrices de l’enfant ne s’expliquent pas mieux par une affection neurologique ou physique sous-jacente touchant le mouvement, par une déficience visuelle ou vestibulaire ou par une déficience intellectuelle. Il est essentiel de consulter en pédiatrie pour écarter des affections physiques qui expliqueraient mieux ces problèmes moteurs. Chez les enfants présentant une déficience intellectuelle légère, un diagnostic de TDC s’ajoute lorsque l’évaluation révèle des compétences motrices inférieures à leurs capacités cognitives. Une évaluation en psychologie est souvent nécessaire pour confirmer ce scénario peu courant.
Après avoir obtenu l’anamnèse et l’histoire développementale standards ciblant les symptômes de TDC (critères B et C), le médecin procède à un examen physique et neurologique pour évaluer à la fois les signes neurologiques mineurs et francs (critère D). Les signes mineurs sont des marqueurs non spécifiques d’une différence de performance dans une tâche motrice, qui persiste au-delà de la tranche d’âge habituelle, mais qui n’est pas nécessairement indicatrice d’une étiologie sous-jacente. Ils s’atténuent lentement jusqu’à avoir disparu chez la plupart des enfants à l’âge de six ans, mais persistent chez ceux qui ont un TDC [12]. Ils comprennent des syncinésies (p. ex., gesticulation des mains pendant la marche sur les talons ou la pointe des pieds), des mouvements miroir (p. ex., une main « imite » l’autre pendant la reproduction d’un mouvement des doigts) et une agnosie des doigts (p. ex., la surveillance visuelle pour reproduire un mouvement des doigts quand la rétroaction proprioceptive ne suffit pas). Les enfants qui ont un TDC peuvent éprouver des problèmes de coordination (p. ex., pendant l’épreuve doigt-nez et avec les mouvements alternatifs rapides), mais les résultats aux autres évaluations cérébelleuses, comme le signe de Romberg, doivent être négatifs.
En revanche, des signes neurologiques francs, comme l’hypertonie ou l’hypotonie, les réflexes anormaux ou les signes cérébelleux (p. ex., l’ataxie) sont évocateurs d’une pathologie du système nerveux et nécessitent un bilan diagnostique plus approfondi. Notamment, une hyperréflexie, une spasticité, une asymétrie à l’examen neurologique ou des signes du motoneurone supérieur laissent supposer une atteinte du système nerveux central, comme celle observée en cas de paralysie cérébrale ou de lésion cérébrale traumatique. Il peut être nécessaire d’effectuer un examen neurocutané pour écarter une neurofibromatose de type 1 ou une sclérose tubéreuse. Il n’est pas rare de découvrir un tonus à la limite inférieure de la normale et un score de 4 ou 5 sur l’échelle de la force musculaire chez les enfants ayant un TDC, mais une véritable hypotonie, hyperréflexie ou faiblesse musculaire mérite une évaluation plus approfondie. Au tableau 2 sont exposés les principaux éléments de l’examen physique nécessaires à l’évaluation de la possibilité de TDC.
Examen général
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Examen musculosquelettique
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Examen neurologique
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*Les enfants qui ont un TDC présentent souvent au moins l’un de ces signes ou éprouvent de la difficulté à exécuter ces tâches [13].
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Les enfants qui ont un TDC peuvent présenter une hypermobilité articulaire, notamment dans les petites articulations des mains et des pieds. Les douleurs articulaires ne sont toutefois pas associées au TDC, et une telle observation laisse présumer un syndrome d’Ehlers-Danlos [13][14], un syndrome d’hypermobilité articulaire ou une arthrite. Dans des cas moins fréquents, une restriction progressive des activités peut refléter un processus auto-immun ou, dans des situations plus rares, un syndrome de la moelle attachée. L’obésité est une séquelle courante du TDC, car les enfants deviennent moins actifs à cause de leurs difficultés motrices [15].
Pendant l’examen neurologique, l’enfant peut faire le pitre, prétendre qu’il est fatigué ou refuser d’exécuter les tâches motrices. De tels comportements peuvent être indicateurs de troubles moteurs. L’observation de l’enfant qui éprouve de la difficulté à s’habiller et se déshabiller, à nouer ses lacets ou à monter ou descendre du lit d’examen peut révéler une déficience motrice. L’examen des nerfs crâniens et l’anamnèse (troubles oromoteurs comme une sialorrhée excessive, difficulté à mâcher ou à déglutir ou troubles de la parole) peuvent mener à un diagnostic de paralysie cérébrale plutôt que de TDC.
En général, les constatations atypiques reposant sur l’anamnèse, l’examen physique et l’observation du comportement peuvent être groupées en trois catégories : neurologiques, génétiques et musculosquelettiques. Au tableau 3 sont exposées les affections courantes à écarter avant de confirmer un diagnostic de TDC. Les explorations peuvent inclure une évaluation de l’audition et de la vision, la mesure de la créatine phosphokinase, des examens métaboliques, de la fonction thyroïdienne, de la conduction des nerfs périphériques ou de neuro-imagerie (p. ex., imagerie par résonance magnétique cérébrale), en fonction des résultats de l’examen neurologique. En cas de crainte de trouble génétique sous-jacent, il faut envisager une analyse chromosomique sur micropuce, un caryotypage ou un test de l’X fragile et une consultation en neurologie ou en génétique. Il faut également évaluer la possibilité d’affections cooccurrentes fréquentes, comme le TDA/H, les troubles spécifiques des apprentissages, l’anxiété ou la dépression, qui exigent une prise en charge plus poussée ou un soutien en santé mentale [16].
Tableau 3. Les diagnostics différentiels courants du trouble développemental de la coordination |
Affections neurologiques |
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Affections musculosquelettiques |
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Affections génétiques |
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Tant la paralysie cérébrale que le TDC sont des troubles du mouvement, mais selon les données probantes à jour, ce sont des entités distinctes qui se caractérisent différemment à l’examen neurologique [17]. À ce sujet, consulter le point de pratique de la SCP intitulé Les soins complets de l’enfant ayant la paralysie cérébrale et capable de marcher (GMFCS I et II) : une perspective canadienne.
Les principales étapes de prise en charge médicale du TDC consistent à diagnostiquer et à démystifier cette affection, à déceler et à traiter les affections cooccurrentes fréquentes (p. ex., TDA/H, troubles d’apprentissage) et à assurer une surveillance continue des conséquences secondaires du TDC (p. ex., comportement sédentaire, surpoids ou obésité, faible estime de soi et troubles de santé mentale).
Il existe d’autres mesures de prise en charge, comme d’orienter l’enfant en ergothérapie ou physiothérapie pédiatrique afin d’obtenir des recommandations pratiques pour encourager sa participation aux activités à la maison, à l’école et dans la communauté. Une intervention directe peut également être nécessaire. Les données probantes favorisent des interventions axées sur les tâches, comme l’approche CO-OP (orientation cognitive au rendement occupationnel – Cognitive Orientation to Occupational Performance) plutôt que des interventions sensorielles [1]. Il faut inciter l’enfant à participer à des sports individuels et non compétitifs, comme le taekwondo ou la nage, et orienter les familles vers des ressources de soutien fondées sur des données probantes (p. ex., le site Web de CanChild).
Les auteurs remercient tout particulièrement les docteurs Rhea D’Costa, Sabrina Eliason, Jane Gloor, Anne Kawamura, Amber Makino, Jennifer McLean, Scott McLeod et Angelina Orsino pour leur participation au présent point de pratique. La docteure Jill Zwicker reçoit des subventions de la Michael Smith Foundation for Health Research, du Programme canadien de cliniciens-chercheurs en santé de l’enfant, du B.C. Children’s Hospital Research Institute, de la Sunny Hill Foundation et des Instituts de recherche en santé du Canada. Le comité de la pédiatrie communautaire et le comité de la santé mentale et des troubles du développement de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent point de pratique.
Membres du comité de direction : Sabrina Eliason MD (vice-présidente), Angie Ip MD, Anne Kawamura MD (présidente sortante), Elizabeth CR Mickelson MD, Angela Orsino MD (secrétaire-trésorière), Melanie Penner MD (présidente), Mohammad Samad Zubairi MD
Auteurs principaux : Angie Ip MD, Elizabeth C.R. Mickelson MD, Jill G. Zwicker Ph. D., erg.
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 8 février 2024