Point de pratique
Affichage : le 18 juillet 2024
Michelle Shouldice MD, Michelle Ward MD, Kathleen Nolan MD, Emma Cory MD, Société canadienne de pédiatrie, Section de la prévention de la maltraitance d’enfants et d’adolescents
Le trauma crânien causé par la maltraitance des enfants, une conséquence grave de la violence envers les enfants, est associé à une morbidité et une mortalité importantes, particulièrement chez les nourrissons et les jeunes enfants. Les professionnels de la santé ont un rôle important à jouer, y compris pour détecter et traiter ces enfants, signaler les craintes de maltraitance aux services de protection de l’enfance, évaluer les lésions et les troubles médicaux connexes, soutenir les enfants et leur famille et transmettre l’information médicale clairement aux familles, aux autres professionnels de la santé, aux services de protection de l’enfance et au milieu juridique.
Les symptômes associés aux traumatismes crâniens recoupent souvent ceux d’autres maladies courantes de l’enfance, et les signes externes de lésions peuvent être discrets ou même inexistants. Par conséquent, le trauma crânien causé par la maltraitance des enfants est souvent négligé et détecté tardivement, ce qui contribue au risque que les sévices se poursuivent. Pour évaluer un traumatisme crânien en cas de soupçons de maltraitance d’enfant, il faut examiner les causes médicales éventuelles des observations cliniques et déterminer la présence de lésions occultes. Le présent point de pratique fournit aux professionnels de la santé des conseils pour qu’en cas de soupçons, ils détectent le trauma crânien causé par la maltraitance d’un nourrisson ou d’un enfant et procèdent à l’évaluation médicale des lésions et des blessures.
Mots-clés : traumatisme crânien non accidentel; maltraitance d’enfants; TC-ME, trauma crânien causé par la maltraitance des enfants
Les traumatismes crâniens sont la principale cause de morbidité et de mortalité attribuables à la maltraitance d’enfants[1]. Ils sont causés par des forces appliquées directement à la tête (impact, pénétration ou écrasement), des forces d’inertie (secousses ou coup de fouet cervical) ou une combinaison de ces deux mécanismes et peuvent inclure des lésions traumatiques du crâne, du cerveau et des structures intracrâniennes[2][3]. Des blessures connexes peuvent être observées au visage, au cuir chevelu, aux yeux, au cou ou au rachis. On peut aussi constater, ou non, des blessures aux membres et au torse. Les symptômes, qui peuvent aller de discrets à graves, sont parfois difficiles à détecter.
Le traumatisme crânien attribuable à la maltraitance d’enfants a été désigné de diverses façons, y compris « syndrome du bébé secoué », « traumatisme crânien secondaire à la maltraitance », « traumatisme crânien non accidentel » et « traumatisme crânien infligé ». Ces termes ne sont plus recommandés au Canada. La Société canadienne de pédiatrie (SCP) et l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) recommandent le terme « trauma crânien causé par la maltraitance des enfants » (TC-ME). Le présent point de pratique s’inspire de la Déclaration conjointe de 2020 sur le trauma crânien causé par la maltraitance des enfants (TC-ME): une mise à jour de la Déclaration conjointe sur le syndrome du bébé secoué[2] de l’ASPC et contient des conseils supplémentaires utiles pour les professionnels de la santé.
Chez les nourrissons et les tout-petits, les traumatismes crâniens sont souvent difficiles à détecter à partir des symptômes et de l’examen physique, particulièrement lorsque le nourrisson présente des symptômes non spécifiques et n’a pas d’antécédents déclarés de trauma[4]. Les cliniciens devraient envisager la possibilité de traumatisme crânien non déclaré chez les nourrissons et les jeunes enfants qui éprouvent des signes et symptômes neurologiques (tels que les convulsions, le bombement de la fontanelle, l’altération de l’état de conscience) ou dont les symptômes non spécifiques ne s’accompagnent pas d’un diagnostic médical clair (p. ex., alimentation insuffisante, léthargie, vomissements, irritabilité, apnée, altération subite de l’état général). Il faut également envisager la possibilité de traumatisme crânien chez les nourrissons qui font partie d’une fratrie présentant des blessures soulevant des soupçons de maltraitance.
Aucune lésion particulière n’est pathognomonique de la maltraitance d’enfant, mais certaines observations sont plus corrélées avec le TC-ME qu’avec d’autres causes de traumatismes crâniens. Ces observations peuvent être considérées comme des signes évocateurs de TC-ME[5]-[7].
Tableau 1. Signes évocateurs de trauma crânien causé par la maltraitance des enfants |
Histoire Manifestations de traumatisme crânien symptomatique ainsi que :
Tableau clinique
Observations radiographiques
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Information tirée des références 5 à 7 |
La détection d’une hémorragie sous-durale devrait inciter le clinicien à envisager la maltraitance. Le trauma, qui est la principale cause d’hémorragie sous-durale, peut se produire à l’accouchement ou découler d’un impact ou de forces d’inertie (décélération subite ou forces d’accélération-décélération). Lorsqu’aucun trauma accidentel clair ne se dégage, le TC-ME est la cause la plus courante de l’hémorragie sous-durale[5][7]. Il est toutefois important d’envisager un vaste diagnostic différentiel, afin d’inclure les autres causes plus rares. Des troubles médicaux comme les anomalies de la coagulation, les erreurs innées du métabolisme (notamment l’acidurie glutarique de type 1) et les anomalies anatomiques (p. ex., l’espace subarachnoïdien élargi, les malformations vasculaires) sont associés à des hémorragies sous-durales, mais ce n’est pas fréquent[8].
D’autres observations qui peuvent soulever des soupçons de maltraitance d’enfants, telles que les fractures des côtes ou les hémorragies rétiniennes, ont un diagnostic différentiel qu’il faut évaluer attentivement[6][9].
En cas de soupçons de maltraitance d’enfants, les cliniciens devraient :
En cas de traumatisme crânien et de soupçons de maltraitance, il est essentiel d’obtenir une histoire pédiatrique complète. Il est important de connaître les détails relatifs à l’apparition et à l’évolution des symptômes, de même que les particularités des événements qui ont été déclarés au sujet de la blessure pour en évaluer l’étiologie (médicale ou traumatique).
Tableau 2. Éléments essentiels de l’histoire |
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Symptômes de traumatisme crânien
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Irritabilité, agitation |
Autres observations pertinentes |
Saignements ou ecchymoses |
Histoire détaillée des blessures |
Avant l’événement
Circonstances ayant mené à la blessure
Après la blessure
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Histoire du développement |
Étapes de la motricité globale |
Histoire médicale |
Histoire de la grossesse et de l’accouchement (gestation, mode d’accouchement, instrumentation) Lésions sentinelles (blessures légères antérieures chez le nourrisson, qui peuvent précéder des blessures graves infligées (p. ex., ecchymoses, blessures intraorales ou saignements)) |
Histoire familiale |
Saignements anormaux |
Il est essentiel de procéder à un examen physique détaillé, qui peut révéler des signes de troubles médicaux ou de trauma. En cas de TC-ME, l’examen peut toutefois être normal malgré la présence d’un traumatisme crânien[10]. Ainsi, on ne peut pas se fier uniquement à l’examen physique pour exclure la possibilité de traumatisme crânien.
Après une évaluation et une réanimation aiguës, l’examen physique ciblé devrait inclure :
Les cliniciens doivent se montrer particulièrement vigilants lorsqu’ils constatent des convulsions, qui sont très courantes chez les nourrissons victimes d’un trauma cérébral symptomatique causé par la maltraitance. Les convulsions sont souvent électrographiques, sans corrélat clinique évident. Il est recommandé d’adopter un faible seuil d’intervention avant d’entreprendre une surveillance précoce ou continue par électroencéphalogramme auprès des nourrissons symptomatiques, de ceux qui ont obtenu des résultats particuliers à l’imagerie et de ceux qui ont besoin de soins intensifs[12].
Un examen du fond de l’œil effectué par un ophtalmologiste pédiatrique expérimenté est indiqué chez les nourrissons et les enfants atteints d’une hémorragie intracrânienne. L’information au dossier devrait inclure le nombre, le type, le foyer et l’étendue de l’hémorragie rétinienne et des observations connexes, telles que le rétinoschisis (clivage traumatique des couches de tissu rétinien). Cet examen doit être réalisé le plus rapidement possible, idéalement dans les 72 heures suivant la lésion, car les hémorragies peuvent se résorber rapidement. Lorsque la technologie est disponible, il est recommandé de corroborer les résultats par des photographies rétiniennes spécialisées[13].
Les tests de laboratoire peuvent contribuer à évaluer la situation médicale et les troubles susceptibles de contribuer aux observations cliniques :
Analyses de la coagulation[11][14]
Tests métaboliques
Dépistage d’autres lésions
Des facteurs locaux (tels que les compétences, l’équipement, le personnel et les probabilités prétests) et le jugement clinique peuvent influer sur l’évaluation médicale, de même que sur l’ajout de tests découlant de l’évaluation clinique (p. ex., bilan infectieux, dosages métaboliques, D-dimères) ou de la présence d’autres lésions[9][11][15].
En cas de soupçons de TC-ME, les indications de neuro-imagerie s’établissent comme suit :
Aucun outil décisionnel (p. ex., le Pediatric Emergency Care Applied Research Network (PECARN), ou réseau de recherche appliquée sur les soins d’urgence pédiatriques) n’a été validé pour établir la nécessité d’une imagerie cérébrale en cas de maltraitance d’enfants. Lorsqu’une telle imagerie est indiquée en raison d’un trauma aigu ou symptomatique, la tomodensitométrie est à retenir en première intention[5]. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) représente une solution de rechange appropriée dans certains cas non aigus et peut souvent s’ajouter pour éclairer ou compléter l’information. Un radiologiste pédiatre peut donner des conseils au sujet de techniques de tomodensitométrie particulières (reconstruction tridimensionnelle du crâne) et de l’IRM (angiographie, veinographie ou spectroscopie par résonance magnétique) en vue d’optimiser les résultats. Il n’est pas recommandé d’utiliser l’échoencéphalographie seule en cas de TC-ME, en raison de sa faible sensibilité pour détecter les hémorragies et les lésions parenchymateuses[8].
L’IRM du rachis complet de l’enfant peut détecter d’autres lésions, notamment en présence d’une hémorragie intracrânienne symptomatique ou de crainte de lésion cervicale, de fractures vertébrales ou des multiples fractures des côtes.
La série squelettique est indiquée dans les cas de soupçons de maltraitance chez les enfants de moins de deux ans et devrait inclure des images de chaque partie du corps, conformément aux indications des protocoles publiés[16]. Le « babygramme » ou la scintigraphie osseuse (ou ces deux examens) ne suffisent pas pour déceler les fractures occultes dans un tel contexte. De même, les appareils de radiographie portables ou au point de service ne suffisent pas davantage pour procéder à la série squelettique. Si l’enfant est gravement blessé, cette série doit être reportée jusqu’à ce que son état se soit suffisamment stabilisé pour que l’imagerie puisse être réalisée au service d’imagerie diagnostique. Dans la plupart des cas, il faut reprendre la série squelettique environ 14 jours après la première imagerie pour détecter des lésions aiguës qui n’étaient peut-être pas visibles à la radiographie au départ[16].
L’imagerie abdominale par tomodensitométrie est recommandée chez les enfants dont l’examen abdominal est anormal, qui présentent des ecchymoses abdominales ou dont les taux de transaminase, de lipase ou d’amylase sont élevés[15].
Il est recommandé que les cliniciens inscrivent de manière claire, objective et détaillée l’histoire et les observations découlant de l’examen physique au dossier des cas soulevant des soupçons de maltraitance. Ces indications devraient inclure les observations particulières (p. ex., hémorragie sous-durale, fracture du crâne ou œdème cérébral), le diagnostic différentiel envisagé et les conclusions diagnostiques (p. ex., traumatisme crânien). Une fois le diagnostic posé, le clinicien devrait rédiger un énoncé descriptif de ses craintes de maltraitance, y compris les raisons qui justifient cette conclusion.
Il est souvent approprié de consulter un centre de soins tertiaires pédiatriques pour prendre en charge les soins aigus et faciliter la participation d’un surspécialiste. Un pédiatre spécialisé en maltraitance d’enfants peut contribuer à orienter l’évaluation clinique et les communications avec la famille, les professionnels de la santé et les forces de l’ordre. Il peut être utile de consulter d’autres spécialistes (p. ex., soins intensifs, ophtalmologie, neurochirurgie, neurologie, orthopédie, endocrinologie, hématologie, génétique, réadaptation), selon les besoins.
Les cliniciens doivent signaler leurs craintes de maltraitance d’enfants aux autorités appropriées et s’assurer d’effectuer les évaluations médicales recommandées en cas de soupçons de TC-ME. Les professionnels de la santé qui ne possèdent pas de connaissances approfondies des publications médicales et des conséquences juridiques liées à la formulation de leur avis d’expert dans les cas de maltraitance d’enfant devraient faire preuve de prudence avant de communiquer un avis médicolégal définitif au sujet de la probabilité de TC-ME. Dans de telles situations, ils peuvent consulter un pédiatre spécialisé en maltraitance pour les aider à formuler leur avis.
Le TC-ME désigne une forme de violence physique aux conséquences graves. Puisqu’il peut être difficile à détecter, les cliniciens doivent être à l’affût des signes, symptômes et signes évocateurs possibles. L’évaluation doit respecter un processus objectif et standardisé qui tient compte des étiologies médicales et traumatiques. Les cliniciens ont un rôle essentiel à jouer pour détecter et prendre en charge le TC-ME, soutenir les familles et collaborer avec les spécialistes de la protection de l’enfance.
Encadré 1. Principaux points à retenir pour évaluer et prendre en charge le trauma crânien causé par la maltraitance des enfants |
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Le présent point de pratique concorde avec la Déclaration conjointe de 2020 sur le trauma crânien causé par la maltraitance des enfants (TC-ME), avec la participation de l’Agence de la santé publique du Canada. Il a été révisé par le comité de la pédiatrie communautaire, le comité de la santé de l’adolescent et le comité des soins aigus de la Société canadienne de pédiatrie, de même que par la section de la médecine d’urgence et la section de la pédiatrie hospitalière de la SCP.
Financement
Aucun financement n’a été accordé pour la préparation du présent manuscrit.
Conflits d’intérêts potentiels
Aucun auteur n’a déclaré de conflits d’intérêts. Les auteurs ont remis le formulaire de divulgation des conflits d’intérêts potentiels de l’International Committee of Medical Journal Editors. Ils ont divulgué les conflits que les rédacteurs en chef jugent pertinents en fonction du contenu du présent manuscrit.
Membres du comité directeur : Emma Cory MD (vice-présidente), Natalie Forbes MD (secrétaire-trésorière), Clara Low-Décarie MD (administratrice), Robyn McLaughlin MD (administratrice), Amy Ornstein MD (présidente sortante), Michelle Ward MD (présidente)
Auteures principales : Michelle Shouldice MD, Michelle Ward MD, Kathleen Nolan MD, Emma Cory M
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 3 décembre 2024
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