Point de pratique
Affichage : le 10 mai 2016 | Reconduit : le 1 juin 2022
Johanne Harvey, Nicholas Chadi; Société canadienne de pédiatrie, Comité de la santé de l’adolescent
Paediatr Child Health 2016;21(4): 205-08.
Ces dernières années, les jeunes ont été exposés à un plus large spectre de produits du tabac, y compris le tabac sans fumée, la shisha (pipe à eau) et la vapoteuse (cigarette électronique). Malgré les stratégies actives de prévention et les mesures législatives locales, provinciales, territoriales et fédérales, des milliers d’adolescents développent une dépendance aux produits du tabac chaque année. Les interventions d’abandon du tabac destinées aux adolescents peuvent les aider à arrêter de fumer et, par conséquent, réduire considérablement le fardeau du tabagisme sur la santé au Canada. Les pédiatres et les autres professionnels de la santé peuvent jouer un rôle important pour aider les adolescents à prendre des décisions éclairées sur le tabagisme et l’abandon du tabac. Le présent point de pratique expose les données et les principes relatifs aux interventions d’abandon du tabac qui ont fait l’objet d’études expressément chez les jeunes, telles que les conseils individuels, le soutien psychologique, les substituts nicotiniques, le bupropion et la varénicline. Il traite également d’interventions pour lesquelles les données sont limitées ou contradictoires.
Le tabagisme est la principale cause évitable de décès et de maladies en Amérique du Nord. Chaque année au Canada, des milliers d’adolescents fument leur première cigarette. En fait, près de 90 % des fumeurs adultes ont goûté à leur première cigarette avant l’âge de 18 ans.[1]
Le présent point de pratique complète le document de principes de la SCP intitulé La prévention du tabagisme chez les enfants et les adolescents : des recommandations en matière de pratiques et de politiques, également publié dans le présent numéro.
Selon les études, la plupart des fumeurs adolescents aimeraient arrêter de fumer.[2] De nombreux adolescents essaient d’arrêter d’eux-mêmes, mais la plupart de ces tentatives échouent, et le taux de rechute est élevé. De nombreux facteurs influent sur la réussite des tentatives d’abandon du tabac à l’adolescence (tableau 1). Il faut également tenir compte de multiples éléments au moment de choisir la meilleure stratégie pour aider les adolescents à arrêter de fumer.[3]-[5]
Les professionnels de la santé (PdS) doivent être conscients des besoins personnels et des préférences de chaque adolescent à l’égard du tabagisme et de l’abandon du tabac.[6] Par exemple, le taux de tabagisme au Canada est beaucoup plus élevé chez les jeunes des minorités sexuelles (lesbiennes, gays, bisexuals et transgenres, ou LGBT) et chez les enfants et les adolescents autochtones. À cet égard, consulter le document de principes de la SCP intitulé L’usage et le mésusage du tabac chez les autochtones. D’autres éléments sont à prendre en considération avant de recommander une stratégie d’abandon du tabac, y compris l’appartenance culturelle, les connaissances, les attitudes et les convictions relatives au tabac et la volonté d’arrêter de fumer.
D’après une récente analyse Cochrane sur l’abandon du tabac chez les adolescents, les interventions soutenues par des preuves de haute qualité sont les conseils individuels (counseling), le renforcement de la motivation et la thérapie cognitivo-comportementale (TCC).[3] Des interventions ciblées par les médecins, les infirmières et d’autres PdS peuvent également avoir des effets importants sur le taux d’abandon du tabac. Par exemple, les PdS peuvent recourir à la thérapie de renforcement de la motivation, une variante de l’intervention motivationnelle, pour aider les adolescents à définir leurs objectifs et leurs convictions à l’égard du tabagisme.[7] La méthode en cinq étapes (demander-conseiller-évaluer-aider-prévoir) est la plus utilisée.[8] Elle peut orienter une séance de brefs conseils (brief counseling), qui ne prendra pas plus de trois à cinq minutes.[9] Un aperçu de cette méthode figure au tableau 2.
La TCC, une approche thérapeutique individuelle structurée qui peut être donnée par des médecins, des psychologues ou d’autres PdS formés, s’est révélée efficace chez les adolescents.[10][11] En général, la thérapie est « axée sur les problèmes » et « fondée sur des actions ». Elle incite le jeune à modifier ses propres habitudes et comportements liés au tabagisme. Par ailleurs, de plus en plus d’autres interventions psychosociales, adaptées ou combinées (p. ex., la gestion des contingences, un type de traitement de la dépendance aux substances psychoactives par le renforcement positif ou les récompenses) donnent des résultats prometteurs au sein de diverses populations de jeunes.[12]
Chez les adultes, les substituts nicotiniques, le bupropion et la varénicline sont les traitements pharmaceutiques de première ligne. Dans la mise à jour la plus récente (2013) d’une analyse Cochrane qui résumait les données probantes sur les interventions d’abandon du tabac chez les jeunes, les données n’étaient pas suffisantes pour recommander un type de traitement pharmaceutique en particulier chez les jeunes fumeurs.[11] Néanmoins, les lignes directrices nationales favorisent les substituts nicotiniques chez les fumeurs réguliers à l’adolescence, mais pas chez les fumeurs occasionnels,[3][13] en grande partie d’après les données obtenues chez les adultes.
Plusieurs essais, axés spécifiquement sur l’efficacité des substituts nicotiniques à l’adolescence,[8] ont donné des résultats prometteurs et présenté des profils d’innocuité acceptables. Les gommes à la nicotine et les timbres transdermiques sont les produits les plus prescrits, tandis que les pastilles et les vaporisateurs nasaux arrivent loin derrière. Les irritations de la bouche et de la peau, l’augmentation de la fréquence cardiaque et de la tension artérielle sont les effets secondaires les plus signalés chez les jeunes.[13] Les inhalateurs de nicotine qui, contrairement à la vapoteuse, administrent une vapeur lente et non chauffée de nicotine, ne sont pas recommandés chez les adolescents, en raison de l’absence de preuve sur leur efficacité.[14]
Quelques essais sur les effets du bupropion et de la varénicline chez les fumeurs adolescents ont donné des résultats prometteurs.[11] Cependant, en raison du petit nombre de sujets à l’essai et de données contradictoires ou non significatives, les recommandations sur l’utilisation de l’un ou l’autre de ces médicaments dépendent encore en grande partie de l’avis d’experts. Les PdS devraient en connaître les contre-indications (p. ex., un trouble de l’alimentation ou un trouble convulsif causé par le bupropion). À la rubrique Ressources recommandées ci-dessous, on peut obtenir des renseignements sur la dose, les contre-indications relatives et absolues et les effets secondaires des substituts nicotiniques, du bupropion et de la varénicline (voir particulièrement les directives de la Régie régionale de la santé de Winnipeg pour les professionnels de la santé, aux pages 10 à 21). Les données sur les autres produits pharmaceutiques de deuxième ligne utilisés chez les adultes, tels que la clonidine, la nortriptyline et la cytisine (un antagoniste partiel des récepteurs de la nicotine), ne sont pas colligées chez les jeunes.[8][15][16]
Les interventions expérimentales auprès des fumeurs adolescents gagnent en popularité dans les publications scientifiques. Parmi les plus étudiées, soulignons les programmes d’abandon du tabac en milieu scolaire,[17] les interventions d’abandon du tabac à l’aide de messages-textes,[18][19] le mentorat par des camarades[20] et les interventions d’autoassistance numériques ou virtuelles.[21] Puisque les données qui corroborent l’efficacité de ces interventions sont limitées, il faudrait les utiliser conjointement avec les conseils thérapeutiques.
Enfin, les interventions corps-esprit, telles que la pleine conscience, le yoga, l’hypnose et la rétroaction biologique (biofeedback),[22] sont considérées comme prometteuses dans les publications pour adultes. Cependant, on ne possède pas de données sur leur efficacité chez les jeunes.
TABLEAU 2 | ||
La méthode en cinq étapes pour conseiller d’arrêter de fumer |
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Cinq étapes | Description | Questions proposées |
Demander | S’informer de la consommation de tabac auprès de tous les adolescents, à chaque rendez-vous, en l’absence des parents. |
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Conseiller | Conseiller fortement à tous les consommateurs de tabac d’arrêter. |
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Évaluer |
Déterminer la volonté à arrêter par l’évaluation de l’empressement à essayer :
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Aider | Donner de l’aide aux adolescents qui essaient d’arrêter (y compris une pharmacothérapie, au besoin), en fixant une date et en orientant l’adolescent vers du matériel complémentaire ou des groupes d’entraide. |
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Donner des conseils sur les risques d’adopter des produits de substitution, tels que la marijuana ou d’autres formes de tabac. | ||
Prévoir | Prévoir un suivi pour évaluer les progrès et réévaluer la pharmacothérapie et les problèmes, selon le cas. |
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Certaines sources ajoutent une première étape (anticiper) avant les cinq autres, pour rappeler de tenir la rencontre dans un lieu approprié (en présence ou non des parents ou des amis). |
Le sujet de la cigarette électronique est très controversé comme stratégie d’intervention pour l’abandon du tabac chez les jeunes. En fait, les données des études portant sur l’innocuité ou les avantages de la vapoteuse chez les fumeurs adultes, adolescents et enfants sont contradictoires.[23] Pour l’instant, les PdS ne doivent pas recommander la vapoteuse comme aide d’abandon du tabac, mais plutôt informer les jeunes patients de leur potentiel nuisible. Pour en savoir plus, consultez le document de principes de la SCP intitulé La cigarette électronique : renormalisons-nous le tabagisme en public?
Au tableau 3 sont résumées les interventions d’abandon du tabac chez les jeunes et la qualité des preuves en appui à ces recommandations. Les lecteurs peuvent consulter la qualité de preuves de chaque recommandation, conformément aux règles de l’Oxford Center for Evidence-based Medicine, à l’adresse www.cebm.net/oxford-centre-evidence-based-medicine-levels-evidence-march-2009.
Les pédiatres et les autres PdS peuvent jouer un rôle important pour aider les adolescents à contrôler leur tabagisme et à arrêter de fumer. Pour être vraiment efficaces, ils doivent toutefois connaître les recherches en cours sur les interventions de plus en plus nombreuses offertes aux jeunes et qui reposent sur des données probantes, y compris les brefs conseils. La méthode en cinq étapes fournit un cadre pratique pour dépister et aider les adolescents qui fument. Les publications de recherche comportent toutefois des lacunes importantes, et de multiples questions demeurent sans réponse au sujet de l’abandon du tabac chez les jeunes. Les pédiatres et les autres PdS doivent se tenir informés des récentes découvertes dans ce domaine, particulièrement des données relatives aux adolescents.
1. Le Réseau d’action canadien pour l’avancement, la dissémination et l’adoption de pratiques en matière de traitement du tabagisme fondées sur l’expérience clinique (CAN-ADAPT) : www.nicotinedependenceclinic.com/Francais/CANADAPTT/Guideline/Introduction.aspx
2. Société canadienne du cancer. Téléassistance pour fumeurs (zone Pour les fournisseurs de soins de santé) : www.smokershelpline.ca/fr/home
3. Association pulmonaire. Quit Now (zone pour les dispensateurs de soins) : www.quitnow.ca/helping-others-quit/healthcare-providers.php
4. Centers for Disease Control and Prevention (U.S.), Health care professionals: Help your patients quit smoking : www.cdc.gov/tobacco/campaign/tips/partners/health/hcp
5. American Academy of Pediatrics. Julius B. Richmond Center of Excellence for tobacco control : www2.aap.org/richmondcenter/Clinicians_ClinicalPractice.html
6. Office régional de la santé de Winnipeg, août 2013. Clinical practice guideline: Management of tobacco use and dependence : www.wrha.mb.ca/Professionals/tobacco/cpg.php
1. Santé Canada. Cessez de fumer. Sur la voie de la réussite : Guide pour les jeunes adultes : www.hc-sc.gc.ca/hc-ps/tobac-tabac/quit-cesser/index-fra.php
2. Santé Canada. Site Web Vie100fumer; Guide pour les jeunes qui essaient d’arrêter de fumer : www.hc-sc.gc.ca/hc-ps/tobac-tabac/youth-jeunes/life-vie/index-fra.php
3. Gouvernement du Canada. Vie saine – Tabagisme et tabac : www.canadiensensante.gc.ca/healthy-living-vie-saine/tobacco-tabac/index-fra.php
4. jarrete.qc.ca (Québec) : www.jarrete.qc.ca
5. Société canadienne du cancer. Téléassistance pour fumeurs (programme d’abandon en ligne, soutien téléphonique gratuit, messagerie texte [réservée aux résidents de l’Ontario], livres d’autoassistance, information pour les amis et la famille) : www.smokershelpline.ca/fr/home
6. Department of Health and Human Services, National Institutes of Health, National Cancer Institute (U.S.). Teen self-help, online tools and information : http://teen.smokefree.gov/default.aspx#.VU5hiPlVhBc
Le comité de la pédiatrie communautaire, le comité de la pharmacologie et des substances dangereuses et le comité de la santé des Premières nations, des Inuits et des Métis de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent point de pratique.
COMITÉ DE LA SANTÉ DE L’ADOLESCENT DE LA SCP
Membres : Giuseppina Di Meglio MD, Johanne Harvey MD (membre sortante), Natasha Johnson MD, Margo Lane MD (présidente), Karen Leis MD (représentante du conseil), Mark Norris MD, Gillian Thompson IP-Pédiatrie
Représentante : Christina Grant MD, section de la santé de l’adolescent de la SCP
Auteurs principaux : Johanne Harvey MD, Nicholas Chadi MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 7 décembre 2023