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La prise en charge des graves pénuries de médicaments en pratique clinique

Affichage : le 1 décembre 2022


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Auteur(s) principal(aux)

Derek McCreath, Geert ’t Jong, Yaron Finkelstein, Charlotte Moore Hepburn, société canadienne de pédiatrie, Comité de la pharmacologie

Introduction

Les pénuries de médicaments, qui constituent un problème médical, social et politique complexe, ont des répercussions négatives importantes sur la pratique clinique au Canada. Le 17 mars 2017, l’entrée en vigueur de modifications au Règlement sur les aliments et drogues a obligé les détenteurs d’une autorisation de mise en marché à déclarer publiquement les pénuries et cessations de vente de médicaments dans un site Web tiers [1]. Depuis l’adoption de cette législation, plus de 18 000 pénuries et cessations ont été recensées [2]. À la fin de l’été 2022, le signalement de graves pénuries de formulations liquides d’analgésiques et d’antipyrétiques en vente libre a éveillé un vif intérêt médiatique, alarmé les familles et exercé des pressions sur le système de santé. Quelques semaines plus tard, les formulations liquides d’antibiotiques courants en pédiatrie ont été classées parmi les pénuries de médicaments de niveau 3, c’est-à-dire celles entraînant les pires répercussions potentielles sur la chaîne d’approvisionnement et le système de santé du Canada.

De multiples raisons expliquent ces pénuries de médicaments, y compris des problèmes complexes dans la chaîne d’approvisionnement, la rareté de la main-d’œuvre ainsi que la capacité de fabrication et les réserves d’urgence insuffisantes face à la demande croissante.

Les graves pénuries de médicaments actuelles devraient durer plusieurs mois, et de nouveaux problèmes d’approvisionnement pourraient surgir lorsque les prescripteurs se tourneront vers des médicaments de deuxième et de troisième intention. Ce phénomène fait ressortir les priorités à court et à long terme des professionnels de la santé et des décideurs canadiens, soit la nécessité 1) de s’assurer que les pratiques de prescription concordent avec les meilleures données probantes disponibles et 2) d’instaurer, de manière proactive, un approvisionnement sécuritaire et stable des médicaments les plus nécessaires pour le traitement des enfants du Canada.

La prescription en fonction des meilleures données probantes

Des prescriptions soucieuses des ressources peuvent optimiser les soins tout en préservant des stocks indispensables. Les meilleures données probantes à jour appuient les principes de prescription suivants :

1) La plupart des affections respiratoires aiguës sont d’origine virale et ne nécessitent pas d’antibiotiques. Ainsi, les patients qui consultent à cause de syndromes viraux ne devraient pas se faire prescrire d’antibiotiques. Choisir avec soin Canada a préparé des documents d’information destinés aux professionnels de la santé et aux parents pour renforcer des prescriptions appropriées. Les ressources offertes incluent des blocs d’ordonnance pour infection virale (dont l’un est conçu pour le traitement des enfants de six mois et plus), des conseils axés sur la famille en plusieurs langues sur la prescription différée (pour favoriser des soins de soutien avant de faire exécuter une ordonnance d’antibiotiques) et des affiches d’information à apposer dans les salles d’attente.

2) Des données probantes limitées appuient le recours aux macrolides pour un usage anti-inflammatoire dans des situations cliniques très particulières [3][4], mais rien n’indique que ces antibiotiques contribuent de manière appréciable à modérer l’inflammation en cas d’affections respiratoires pédiatriques non compliquées. Les jeunes patients qui consultent à cause d’une affection non compliquée des voies respiratoires supérieures ou inférieures (y compris les exacerbations de l’asthme) ne devraient pas recevoir de prescriptions de macrolides pour leurs propriétés anti-inflammatoires. Les macrolides sont indiqués pour le traitement d’infections causées par un organisme atypique (p. ex., Mycoplasma pneumoniae, Chlamydia pneumoniae, Chlamydia trachomatis) ou pour le traitement d’enfants atteints d’infections bactériennes courantes dans le contexte d’une allergie aux bêta-lactamines au potentiel mortel.

3) Les soins virtuels se sont multipliés pendant la pandémie [5][6]. Ils sont considérés comme sécuritaires et efficaces dans de nombreuses situations cliniques, mais peuvent être inappropriés dans certaines circonstances. Il est impossible de diagnostiquer l’otite moyenne aiguë, la pneumonie, la pharyngite à streptocoque du groupe A et la plupart des infections urinaires en toute fiabilité sans d’abord effectuer un examen physique et, dans certains cas, un test de laboratoire de confirmation. À de rares exceptions près, les patients ne devraient pas recevoir de prescriptions d’antibiotiques pour traiter ces affections cliniques sur la simple base d’une rencontre virtuelle. Dans la mesure du possible, les professionnels de la santé doivent s’assurer que les patients ont accès à des soins ambulatoires directs lorsqu’ils éprouvent des symptômes qui laissent croire à une infection bactérienne.

4) Lors de la prescription d’antibiotiques, le traitement efficace et fondé sur des données probantes le plus court doit être privilégié. Des prescriptions soucieuses des ressources optimisent les résultats cliniques en évitant une exposition inutile (ou trop longue) aux antibiotiques, en atténuant la montée des souches bactériennes résistantes et en préservant des stocks indispensables. Voir le tableau 1 [7]-[11] pour obtenir un aperçu des choix, des posologies et de la durée d’administration d’antibiotiques visant à soigner des infections pédiatriques courantes. Il faut tenir compte des profils de résistance locaux au moment de rédiger la prescription.

Tableau 1. Les doses d’antibiotiques et la durée d’administration recommandées pour soigner des infections pédiatriques courantes

Indication Antibiotiques et formes galéniques sur le marché Posologie recommandée Durée recommandée
Pneumonie non compliquée d’origine communautaire [7]

Première intention :

amoxicilline capsules : 250 mg, 500 mg

De 20 à 30 mg/kg/dose par voie orale trois fois par jour jusqu’à concurrence de 500 mg/dose

Envisager d’arrondir la dose de manière à correspondre à celle de la capsule la plus près

5 jours [8]

Deuxième intention :

amoxicilline-acide clavulanique

Comprimés : 500 mg/125 mg, 875 mg/125 mg

Dose en fonction du composant d’amoxicilline

De 20 à 30 mg/kg/dose par voie orale trois fois par jour jusqu’à concurrence de 500 mg/dose

Envisager d’arrondir la dose au quart de comprimé, à la moitié de comprimé ou au comprimé entier le plus près

Allergie à la pénicilline (sans potentiel mortel)

cefprozil OU céfuroxime

Comprimés : 250 mg, 500 mg

15 mg/kg/dose par voie orale deux fois par jour jusqu’à concurrence de 500 mg/dose

Envisager d’arrondir la dose à la moitié de comprimé ou au comprimé entier le plus près

Allergie à la pénicilline (au potentiel mortel)
ou possibilité de pneumonie atypique :

Option 1

clarithromycine

Comprimés : 250 mg, 500 mg

7,5 mg/kg/dose par voie orale deux fois par jour jusqu’à concurrence de 500 mg/dose

Allergie à la pénicilline (au potentiel mortel)
ou possibilité de pneumonie atypique :

Option 2

azithromycine

Comprimés : 250 mg, 500 mg

10 mg/kg/jour par voie orale en une seule dose le jour 1 (jusqu’à concurrence de 500 mg), suivis de 5 mg/kg/jour par voie orale en une seule dose les jours 2 à 5 (jusqu’à concurrence de 250 mg)
Otite moyenne aiguë [9]

Amoxicilline

Capsules : 250 mg, 500 mg

De 37,5 à 45 mg/kg/dose par voie orale deux fois par jour jusqu’à concurrence de 500 mg/dose

Envisager d’arrondir la dose de manière à correspondre à celle de la capsule la plus près

<2 ans : 10 jours

≥2 ans : 5 jours

Deuxième intention :

amoxicilline-acide clavulanique

Comprimés : 500 mg/125 mg, 875 mg/125 mg

Dose en fonction du composant d’amoxicilline

De 37,5 à 45 mg/kg/dose par voie orale deux fois par jour jusqu’à concurrence de 875 mg/dose

Envisager d’arrondir la dose au quart de comprimé, à la moitié de comprimé ou au comprimé entier le plus près

Allergie à la pénicilline (sans potentiel mortel) :

cefprozil OU céfuroxime

Comprimés : 250 mg, 500 mg

15 mg/kg/dose par voie orale deux fois par jour jusqu’à concurrence de 500 mg

Envisager d’arrondir la dose à la moitié de comprimé ou au comprimé entier le plus près

Allergie à la pénicilline (au potentiel mortel) :

Option 1

clarithromycine

Comprimés : 250 mg, 500 mg

7,5 mg/kg/dose par voie orale deux fois par jour jusqu’à concurrence de 500 mg/dose

Allergie à la pénicilline (au potentiel mortel) :
Option 2

azithromycine

Comprimés : 250 mg, 500 mg

10 mg/kg/jour par voie orale en une seule dose le jour 1 (jusqu’à concurrence de 500 mg), suivis de 5 mg/kg/jour par voie orale en une seule dose les jours 2 à 5 (jusqu’à concurrence de 250 mg) 5 jours
Pharyngite à streptocoque du groupe A [10]

Pénicilline V potassique

Comprimés : 300 mg

<27 kg : 300 mg par voie orale deux ou trois fois par jour

≥27 kg : 600 mg par voie orale deux ou trois fois par jour

10 jours

Amoxicilline capsules : 250 mg, 500 mg

50 mg/kg/dose par voie orale une fois par jour (la dose peut également être divisée pour être donnée deux fois par jour) jusqu’à concurrence de 1 000 mg/jour

Envisager d’arrondir la dose de manière à correspondre à celle de la capsule la plus près

Allergie à la pénicilline (sans potentiel mortel) :

céphalexine

Comprimés : 250 mg, 500 mg

20 mg/kg/dose par voie orale deux fois par jour jusqu’à concurrence de 500 mg/dose

Envisager d’arrondir la dose à la moitié de comprimé ou au comprimé entier le plus près

Allergie à la pénicilline (au potentiel mortel) :

Option 1

clarithromycine

Comprimés : 250 mg

7,5 mg/kg/dose par voie orale deux fois par jour jusqu’à concurrence de 250 mg/dose

Allergie à la pénicilline (au potentiel mortel) :

Option 2

azithromycine

Comprimés : 250 mg, 500 mg

12 mg/kg/dose par voie orale une fois par jour jusqu’à concurrence de 500 mg/dose 5 jours

Infection urinaire

≥ 3 mois [11]

(traitement empirique en attendant le résultat de la culture d’urine)

Céphalexine

Comprimés : 250 mg, 500 mg

De 15 à 20 mg/kg/dose par voie orale trois fois par jour
jusqu’à concurrence de 500 mg/dose

Envisager d’arrondir la dose à la moitié de comprimé ou au comprimé entier le plus près

7 jours

Cotrimoxazole (triméthoprime-sulfaméthoxazole)

Comprimés : 80 mg/400 mg, 160 mg/800 mg

Dose en fonction du composant de triméthoprime

De 4 à 6 mg/kg/dose par voie orale deux fois par jour jusqu’à concurrence de 160 mg de triméthoprime par dose

Envisager d’arrondir la dose au quart de comprimé, à la moitié de comprimé ou au comprimé entier le plus près

Infection urinaire non compliquée, non fébrile : 3 jours

Infection urinaire non compliquée, fébrile :
7 à 10 jours

Céfixime

Comprimés : 400 mg

8 mg/kg/dose par voie orale une fois par jour
jusqu’à concurrence de 400 mg/dose

Envisager d’arrondir la dose au quart de comprimé, à la moitié de comprimé ou au comprimé entier le plus près

Amoxicilline-acide clavulanique

Comprimés : 500 mg/125 mg, 875 mg/125 mg

Dose en fonction du composant d’amoxicilline

<35 kg : De 15 à 20 mg/kg/dose par voie orale trois fois par jour (jusqu’à concurrence de 500 mg/dose)

Envisager d’arrondir la dose au quart de comprimé, à la moitié de comprimé ou au comprimé entier le plus près

35 kg : 500 mg/125 mg par voie orale trois fois par jour

OU 875 mg/125 mg par voie orale deux fois par jour

Ciprofloxacine

Comprimés : 250 mg, 500 mg, 750 mg

15 mg/kg/dose par voie orale deux fois par jour jusqu’à concurrence de 750 mg/dose

Tableau 1 intitulé Les doses d’antibiotiques et la durée d’administration recommandées pour soigner des infections pédiatriques courantes peut aussi être consulté sous forme de fichier supplémentaire.

 

5) Les professionnels de la santé devraient prescrire un antibiotique dont la dose est arrondie de manière à correspondre à celle des comprimés ou des capsules, dans la mesure du possible et lorsque la situation l’indique.

Certains comprimés peuvent être divisés ou écrasés afin d’obtenir la dose appropriée. Les pharmaciens peuvent indiquer aux familles de mélanger un comprimé écrasé dans du lait, du jus ou un autre liquide froid ou dans un pouding (crème-dessert) ou de la crème glacée (selon le médicament) afin d’en masquer le goût.

Pour aider les pharmaciens à éviter le gaspillage des médicaments qu’ils délivrent, les doses indiquées sur les prescriptions devraient correspondre aux concentrations standards des comprimés. Par souci de clarté, il est bon d’envisager de préciser sur chaque ordonnance « délivrer sous forme de quarts de comprimés, de demi-comprimés ou de comprimés entiers si la formulation liquide par voie orale n’est pas disponible ».

Avant d’être administrées, certaines capsules peuvent être ouvertes, et leur contenu peut être dissous dans un liquide ou mélangé avec un aliment. Ce sont les pharmaciens qui doivent donner les directives aux parents au sujet de la manipulation des capsules.

6) Il faudrait encourager les enfants et les adolescents à apprendre à avaler les comprimés lorsqu’ils sont assez âgés pour y parvenir et en mesure de le faire. Plusieurs ressources efficaces sont offertes en ligne pour aider les patients à acquérir cette précieuse habileté. Lorsqu’ils indiquent aux parents d’administrer des comprimés ou des capsules à leur enfant lorsque la situation le permet, les prescripteurs et les pharmaciens contribuent à préserver les stocks limités de formulations liquides pour les patients qui en ont le plus besoin.

7) Puisque les pénuries tournantes devraient se poursuivre, il est important que les médecins sachent quels médicaments prescrits couramment sont disponibles dans leur localité. Il est exigeant pour les pharmaciens de joindre les médecins lorsqu’un médicament prescrit n’est pas disponible. Cette étape supplémentaire retarde les soins et exige du temps de la part de tous les professionnels de la santé en cause.

 

Remerciements

Le comité des maladies infectieuses et d’immunisation de la Société canadienne de pédiatrie a révisé le présent point de pratique.


COMITÉ DE PHARMACOLOGIE ET DES SUBSTANCES DANGEREUSES DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE (2022-2023)

Membres : Yaron Finkelstein MD, Shinya Ito MD, Geert ‘t Jong MD (président), Derek McCreath B. Sc. pharm., Tom McLaughlin MD, Charlotte Moore Hepburn MD (représentante du conseil), Eva Slight-Simcoe MD (membre résidente)

Représentant : Michael J. Rieder MD Ph. D. (Société canadienne de la pharmacologie et de la thérapeutique)

Auteurs principaux : Derek McCreath B. Sc. pharm., Geert ‘t Jong MD Ph. D., Yaron Finkelstein MD, Charlotte Moore Hepburn MD


Références

  1. Santé Canada. Pénuries de médicaments au Canada : Règlements et lignes directrices. Date de modification : le 1er septembre 2022. (consulté le 25 novembre 2022).
  2. Pénuries de médicaments Canada. Rapport sommaire. (consulté le 25 novembre 2022).
  3. Wagner T, Burns JL. Anti-inflammatory properties of macrolides. Pediatr Infect Dis J 2007;26(1):75-76. doi : 10.1097/01.inf.0000253037.90204.9f.
  4. Mosquera R, Gomez-Rubio AM, Harris T et coll. Anti-inflammatory effect of prophylactic macrolides on children with chronic lung disease: A protocol for a double-blinded randomised controlled trial. BMJ Open 2016;6(9):e012060. doi : 10.1136/bmjopen-2016-012060.
  5. Welk B, McArthur E, Zorzi AP. Association of virtual care expansion with environmental sustainability and reduced patient costs during the COVID-19 pandemic in Ontario, Canada. JAMA Netw Open 2022;5(10)e2237545. doi : 10.1001/jamanetworkopen.2022.37545.
  6. Goldbloom EB, Buba M, Bhatt M, Sungtharalingam S, King WJ. Innovative virtual care delivery in a Canadian paediatric tertiary-care centre. Paediatr Child Health 2022;27(Suppl 1):S9-14. doi : 10.1093/pch/pxab104.
  7. Le Saux N, Robinson JL; comité des maladies infectieuses et d’immunisation de la SCP. La pneumonie non compliquée chez les enfants et les adolescents canadiens en santé : points de pratique sur la prise en charge.
  8. Li Q, Zhou Q, Florez ID et coll. Short-course vs long-course antibiotic therapy for children with nonsevere community-acquired pneumonia: A systematic review and meta-analysis. JAMA Pediatr 2022. doi : 10.1001/jamapediatrics.2022.4123. Publication en ligne avant impression.
  9. Le Saux N, Robinson JL; comité des maladies infectieuses et d’immunisation de la SCP. La prise en charge de l’otite moyenne aiguë chez les enfants de six mois et plus.
  10. Sauve L, Forrester AM, Top KA; comité des maladies infectieuses et d’immunisation de la SCP. La pharyngite à streptocoque du groupe A : un guide pratique pour le diagnostic et le traitement.
  11. Robinson JL, Finlay JC, Lang ME, Bortolussi R; comité des maladies infectieuses et d’immunisation de la SCP. Le diagnostic et la prise en charge des infections urinaires chez les nourrissons et les enfants.

Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.

Mise à jour : le 8 décembre 2023