Commentaire
Affichage : le 14 janvier 2020
Radha Jetty, MD, FRCPC, présidente, comité de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis, en collaboration avec l’Assemblée des Premières Nations, Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis
La proportion des populations des Premières Nations, des Inuits et des Métis du Canada touchées par la tuberculose continue d’être démesurée, et cette disparité trouve principalement son origine dans des facteurs comme la pauvreté, des logements surpeuplés et inappropriés, l’insécurité alimentaire et un accès inéquitable aux soins. Au Canada, les pratiques historiques de lutte contre la tuberculose ont contribué à l’ostracisme et à la discrimination envers les personnes atteintes, de même qu’à la crainte et à la méfiance envers le système de santé. Ces facteurs individuels et systémiques retardent les diagnostics et favorisent la transmission, la médiocrité des résultats cliniques et un faible taux d’achèvement des traitements. Les enfants sont particulièrement vulnérables, car ils risquent davantage de contracter la maladie après avoir été infectés par les bactéries de la tuberculose, ainsi que de souffrir d’affections au potentiel mortel comme la méningite tuberculeuse. Les professionnels de la santé pédiatrique peuvent contribuer aux connaissances et à la littératie à l’égard de la tuberculose, à réduire l’ostracisme et la discrimination et, au bout du compte, à améliorer la qualité et l’utilisation des services thérapeutiques et préventifs dans les familles et les communautés vulnérables. Ils peuvent également promouvoir des stratégies communautaires durables pour éliminer la tuberculose, qui intégreront les principes de bien-être, de guérison et d’autodétermination des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
Mots-clés : First Nations, Inuit, Métis, Indigenous, child health, tuberculosis, social determinants
La tuberculose est une maladie transmissible qui se propage généralement par l’inhalation de gouttelettes aérogènes contenant des bactéries de Mycobacterium tuberculosis. Une fois inhalées, ces bactéries entrent habituellement en dormance si la réponse immunitaire est mature et fonctionnelle. Cette tuberculose en dormance, qui est asymptomatique, se nomme infection tuberculeuse latente [1].
Les enfants, et particulièrement ceux de moins de cinq ans, ne possèdent pas toujours la réponse immunitaire nécessaire pour créer ou maintenir l’état de dormance. Chez les enfants exposés à une personne atteinte de tuberculose contagieuse, la maladie peut évoluer rapidement, tout en s’accompagnent généralement d’une composante respiratoire, parfois sous des formes au potentiel mortel comme la tuberculose miliaire et la méningite tuberculeuse [2]. Il peut être difficile de diagnostiquer, de traiter et de prévenir la tuberculose chez les enfants, et l’absence de diagnostic peut avoir des conséquences dévastatrices pour eux, leur famille, les communautés et les dispensateurs de soins [2][3].
Même si la tuberculose est pratiquement éradiquée dans les populations non autochtones nées au Canada, c’est une crise de santé publique dans certaines communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Les conditions de vie, les inégalités en matière de santé, les traumatismes historiques et l’ostracisme contribuent à la forte incidence des cas de tuberculose active dans certaines communautés autochtones [4]. Les taux d’incidence en population s’établissaient comme suit en 2016 : [5]
Contrairement à la tuberculose active, l’infection tuberculeuse latente n’est pas une maladie à déclaration obligatoire bien établie. L’absence de données sur sa prévalence sous-jacente dans les populations des Premières Nations, des Inuits et des Métis, que ce soit au pays, par province, par territoire ou par communauté, complique les efforts de dépistage, de prévention et, en fin de compte, d’élimination de la tuberculose dans les groupes les plus à risque [4]. Il est donc d’autant plus important que les dispensateurs de soins qui s’occupent de familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis s’informent de l’épidémiologie et du contexte locaux de la tuberculose.
La tuberculose est souvent qualifiée de maladie sociale aux conséquences médicales, car ses vecteurs sont davantage liés à des facteurs sociaux et économiques qu’à l’agent pathogène lui-même [6]. La maladie se développe dans des contextes de pauvreté et d’iniquité en matière de santé. Certaines conditions de vie contribuent à des taux élevés de tuberculose dans les populations des Premières Nations, des Inuits et des Métis, soit les logements surpeuplés et de mauvaise qualité, l’insécurité alimentaire et les obstacles à l’accès aux soins [6].
Le degré de surpeuplement des logements et la fréquence d’exposition aux moisissures et aux autres polluants de l’air intérieur, tels que la fumée du tabac ou du cannabis, accroissent le risque de tuberculose [7][8]. L’insécurité alimentaire chronique peut entraîner de la malnutrition et un risque accru de tuberculose après l’infection par les bactéries de la tuberculose [9]. Les obstacles aux services de santé dans les communautés éloignées des Premières Nations, des Inuits et des Métis, comme la géographie (p. ex., l’éloignement et l’infrastructure de transport précaire) ainsi que la pénurie chronique et le roulement élevé de dispensateurs de soins, peuvent provoquer des retards de diagnostic de même que l’amorce de précautions d’isolement des organismes aérogènes et d’un traitement. Ces retards favorisent la poursuite de la transmission, entraînent des cas secondaires et amplifient une prévalence d’insuffisance tuberculeuse latente largement indéfinie [4].
Des années 1940 jusqu’à la fin des années 1960, avant que l’accès aux médicaments contre la tuberculose se soit généralisé, de nombreux membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis ont vécu de longues périodes de confinement forcé dans des hôpitaux pour tuberculeux ou des sanatoriums [10]. Les enfants étaient envoyés dans des sanatoriums situés à des centaines ou des milliers de kilomètres de leurs parents, de leurs proches, de leur communauté et de leur culture, et ce, souvent pendant de longues années [11][12]. Certains jeunes enfants qui se remettaient de la tuberculose étaient transférés directement des sanatoriums aux pensionnats, aggravant ainsi leur traumatisme. Les conditions des pensionnats, qui exacerbaient l’épidémie, ont été qualifiées de « terrains fertiles » et d’« aires d’incubation » de la tuberculose [13].
Les familles n’étaient pas nécessairement informées du bien-être de leur enfant en sanatorium ni de l’endroit où il se trouvait [12][14]. Certains enfants sont décédés sans que leur famille sache où ils avaient été enterrés. Des enfants qui revenaient dans leur communauté d’origine n’en comprenaient plus la langue, les habiletés, ni les normes sociales [14].
De nombreux adultes et anciens des communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis ont grandi à l’époque des sanatoriums. Ces expériences continuent d’influencer la perception qu’ont les particuliers, les familles et les communautés des conséquences potentielles d’un diagnostic de tuberculose [14].
La perception d’ostracisme peut donner lieu à de la discrimination et de l’autostigmatisation et avoir des conséquences comme l’exclusion sociale, la perte de son logement ou de son revenu [15]. Les personnes atteintes de la tuberculose peuvent se sentir indignes ou coupables [16], ce qui peut entraîner une dépression ou un isolement affectif ou physique volontaire de la famille ou d’autres sources de soutien. Ces conséquences peuvent avoir une puissante influence sur la décision de subir un test de dépistage de la tuberculose pour soi ou pour sa famille et sur la vitesse à laquelle demander des soins à l’apparition de symptômes de tuberculose. Pour les peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis, l’attente avant de demander des soins peut être exacerbée par des perceptions ou des expériences de racisme au sein du système de santé [17].
Lorsqu’ils évaluent la tuberculose chez les enfants et dans les familles, les dispensateurs de soins doivent respecter les répercussions mentales, sociales et financières de la simple évocation de ce diagnostic. Les paroles et les gestes d’un professionnel de la santé peuvent malencontreusement perpétuer des idées fausses et amplifier les sentiments d’ostracisme et de discrimination [17].
La communication peut représenter un obstacle important à la réception et à l’administration de soins appropriés, particulièrement lorsque les enfants et les familles ne maîtrisent pas la même langue (ou le même dialecte) ou lorsque les cliniciens ne remarquent pas de subtiles communications non verbales.
Note sur les données et les communautés métissesSelon les données nationales, le taux de tuberculose dans les populations métisses est semblable à celui de la population générale, mais à cause de l’absence d’information propre aux Métis et de la surveillance incomplète de la tuberculose, il est difficile de comprendre les véritables répercussions de cette maladie sur ces communautés, particulièrement en Saskatchewan. La pauvreté, les logements surpeuplés, les co-infections par le VIH, le diabète et la malnutrition font partie des facteurs qui contribuent à la persistance de la tuberculose dans les communautés métisses, conjointement avec les croyances et les obstacles culturels qui limitent l’accès aux services de santé. « Dans le nord de la Saskatchewan, on présume que la tuberculose est un problème exclusif aux peuples des Premières Nations, affirme Clara Morin Dal Col, ministre de la Santé de la nation métisse. Il est difficile de distinguer les cas de tuberculose qui proviennent de la nation métisse de ceux des Premières Nations ou des mariages mixtes, car les deux communautés habitent dans la même région géographique et partagent les mêmes disparités à l’égard des déterminants de la santé. » La ministre Morin Del Col ajoute que des changements structurels s’imposent pour respecter les besoins de santé des peuples métis : « De nombreux Métis qui habitent dans des régions rurales ou éloignées n’ont pas facilement accès aux établissements de santé. Ils doivent trouver l’argent nécessaire pour payer leurs déplacements afin d’aller voir des spécialistes et recevoir un traitement contre la tuberculose dans de grands centres urbains. » |
La réduction du taux de tuberculose dans les communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis est un objectif à court terme. Pour réaliser véritablement cet objectif, il faut améliorer les conditions socioéconomiques qui ont permis à la tuberculose de proliférer : la pauvreté, les logements surpeuplés, l’insécurité alimentaire et le peu d’accès aux soins. Seul un travail complexe et multisectoriel à long terme permettra d’y parvenir [6][14].
Il est capital de transformer les systèmes de santé canadiens pour assurer l’autodétermination des Autochtones. Ainsi, il faut soutenir les communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis afin qu’elles mettent sur pied des programmes de santé et de bien-être novateurs et fructueux qui répondent mieux à leurs besoins, en fonction d’une vision du monde globale et adaptée à leur culture.
La Commission de vérité et réconciliation du Canada exhorte les gouvernements et les institutions à travailler conjointement avec les peuples autochtones à réaliser l’équité en santé pour les communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis [18]. Suivent quelques mesures tangibles vers lesquelles peuvent tendre les institutions et les dispensateurs de soins pour éliminer la tuberculose dans ces communautés.
Adopter les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Collaborer avec des groupes des Premières Nations, des Inuits et des Métis à la création d’une culture organisationnelle qui pallie les effets de la perpétuation du colonialisme sur le système de santé et contribue à corriger les lacunes en matière de résultats cliniques et à établir des relations respectueuses [18]. Par exemple :
Contribuer aux efforts consentis à tous les échelons pour améliorer les déterminants sociaux de la santé dans les populations autochtones du Canada. Prenez contact avec vos dirigeants locaux, provinciaux, territoriaux ou fédéraux pour démontrer que vous appuyez les mesures et le financement dans ces secteurs. Envisagez de devenir membres de groupes d’entraide ou de les soutenir, tels que Stop TB Canada (StopTBCanada.org) et RÉSULTATS Canada (www.results-resultats.ca/fr).
Nous remercions Linette McElroy, conseillère en formations et en ressources sur la tuberculose, pour son apport important à l’élaboration du présent document.
Comité de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis de la Société canadienne de pédiatrie (2019-2020)
Membres : Margaret Berry MD; Leigh Fraser-Roberts MD; Ryan Giroux MD (membre résident); James Irvine (membre sortant); Radha Jetty MD (présidente); Véronique Anne Pelletier; Brett Schrewe MD; Raphael Sharon MD (représentant du conseil)
Représentants : Karen Beddard, Inuit Tapiriit Kanatami; Shaquita Bell, American Academy of Pediatrics; Laura Mitchell, Services aux Autochtones Canada; Melanie Morningstar, Assemblée des Premières Nations; Marilee Nowgesic, Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada; Eduardo Vides, Ralliement national des Métis; Patricia Wiebe, Services aux Autochtones Canada
Les points de vue exprimés dans le présent document ne représentent pas nécessairement les positions, les décisions, ni les politiques de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits ou de ses représentants.
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 23 janvier 2020