Document de principes
Affichage : le 22 juin 2023
Charles Hui MD, Société canadienne de pédiatrie, groupe de travail des soins aux enfants néo-canadiens,
Paediatr Child Health 29(1):46–49.
Puisque 20 % des Canadiens déclarent avoir une autre langue maternelle que le français ou l’anglais, il n’est pas rare que les professionnels de la santé et les patients maîtrisent des langues différentes. Lorsqu’un médecin et son patient ne peuvent pas communiquer correctement, ils courent le risque de mal se comprendre, ce qui peut se solder par de mauvais résultats cliniques et une réadmission hospitalière. Les services d’interprétation professionnels sont associés à une amélioration de la communication, de l’utilisation des soins, des résultats cliniques et de la satisfaction envers les soins. Il est démontré que le recours à des interprètes non formés ou improvisés, y compris les membres de la famille, accroît les erreurs d’omission, les substitutions, les modifications volontaires et les ajouts. Les enfants et les adolescents n’ont pas acquis une maturité développementale suffisante pour agir en qualité d’interprètes dans le milieu de la santé. Dans un tel contexte, ils sont mis dans une situation inappropriée avec laquelle il peut être difficile de composer et qui peut compromettre durablement à la fois à leur propre santé mentale et à leur relation avec les autres membres de la famille
Mots-clés : enfants; interprète; langue; préjudice
Le dernier recensement du Canada démontre l’importante diversité linguistique au pays[1]. Ainsi, 20 % des Canadiens (6,8 millions de personnes) déclarent utiliser une autre langue maternelle que le français ou l’anglais, et 6,2 % des Canadiens (deux millions de personnes) parlent exclusivement une autre langue que le français ou l’anglais à la maison[1]. Dans les milieux de soins du Canada, le potentiel de discordance linguistique (c’est-à-dire qu’un professionnel de la santé et un patient ne maîtrisent pas la même langue) est élevé[2].
Alors que les traducteurs transposent des textes écrits, les interprètes facilitent la communication orale entre des personnes qui ne maîtrisent pas la même langue. D’ordinaire, les interprètes travaillent en deux langues, de manière bidirectionnelle et simultanée. En revanche, les traducteurs se spécialisent habituellement dans l’adaptation de textes d’une langue à une autre, qu’ils ont l’occasion de revoir et de réviser. Pour obtenir plus d’information sur le rôle de l’interprète, sur la manière d’en trouver un et de bien utiliser ses services ainsi que sur les habiletés et les qualités à rechercher, il suffit de consulter le site Les soins aux enfants néo-canadiens, une ressource destinée aux professionnels de la santé qui travaillent auprès des enfants et adolescents immigrants et réfugiés ainsi que de leur famille[3]. Les professionnels de la santé qui font appel à des interprètes devraient également se familiariser avec les principes de compétence culturelle et de communication interculturelle[4][5].
Les services d’interprétation professionnelle peuvent être offerts en personne, par visioconférence ou par téléphone. Les publications ne démontrent pas clairement si une forme est meilleure que l’autre[6][7], et le choix du professionnel de la santé dépendra de la disponibilité, de la logistique, du coût, de la langue ainsi que du tableau clinique et du milieu de soins. Grâce aux avancées technologiques, il existe désormais de nombreuses plateformes mobiles qui permettent d’accéder à des interprètes dans une foule de langues et de dialectes. Le recours à des interprètes formés, que ce soit en personne, par visioconférence ou par téléphone, contribue à satisfaire aux principes d’égalité d’accès, d’équité et d’universalité des soins dans le système de santé canadien[8].
Au Canada, la maîtrise défaillante du français ou de l’anglais est étroitement liée à une mauvaise santé autodéclarée[9]. Lorsqu’un médecin et son patient ne peuvent pas communiquer correctement, les préjudices potentiels incluent de mauvais résultats cliniques[10]-[12] et une réadmission hospitalière[13].
Une analyse bibliographique systématique a démontré les avantages de recourir à des professionnels plutôt qu’à des interprètes improvisés, c’est-à-dire des personnes sans formation, telles que des membres de la famille ou du personnel bilingue[14]. Le recours à des interprètes professionnels est associé à une amélioration de la communication, de l’utilisation des soins, des résultats cliniques et de la satisfaction envers les soins[14]. Selon quelques publications, les interprètes professionnels sont peu sollicités en pédiatrie[15][16]. Il n’existe pas de compte rendu sur l’utilisation des interprètes professionnels dans le cadre des interactions médicales au Canada, mais d’après les avis d’experts, elle serait faible.
Dans un sondage ponctuel du Programme canadien de surveillance pédiatrique (PCSP) qui a abordé l’accès aux services d’interprétation et leur utilisation auprès des réfugiés syriens, 87 % des cliniciens qui ont répondu avaient accès à de tels services, et seulement 67 % des interprètes possédaient une formation professionnelle (20 % détenaient une formation non professionnelle et 13 % étaient des amis et des membres de la famille)[17]. La Société canadienne de pédiatrie[3], l’American Academy of Pediatrics[18] et l’Association canadienne de protection médicale[19] conviennent de l’importance de l’interprétation et fournissent des directives aux professionnels de la santé. Le Réseau national de navigation pour nos nouveaux arrivants (N4), en consultation avec les dispensateurs de soins et les fournisseurs de services d’établissement au Canada, a publié une déclaration de principe recommandant une norme nationale d’interprétation dans le milieu de la santé. Cette déclaration contient également des recommandations sur les manières d’éliminer les obstacles linguistiques pour les nouveaux arrivants[20].
Il est démontré que le recours à des interprètes non formés ou improvisés accroît les erreurs d’omission, les substitutions, les modifications volontaires et les ajouts[21]. Lorsqu’un membre de la famille assume les fonctions d’interprète, des questions de confiance et de confidentialité sont également soulevées, de même que le risque qu’il exerce un rôle protecteur ou veuille éviter les conflits. N’importe laquelle de ces questions peut accroître le risque d’erreur médicale et de mauvaise compréhension.
Les professionnels de la santé qui soignent des adolescents doivent tenir compte des questions de confidentialité et de consentement au traitement[22]. S’ils demandent à un membre de la famille ou à un étranger non formé de fournir des services d’interprétation pour le compte d’un adolescent vulnérable, ils se heurteront à la difficulté de respecter et de maintenir l’autonomie et la confidentialité de leur patient.
Les enfants et les adolescents n’ont pas acquis une maturité développementale suffisante pour agir en qualité d’interprètes dans le milieu de la santé. Dans ce contexte, ils sont mis dans une situation inappropriée avec laquelle il peut être difficile de composer et qui peut compromettre durablement à la fois à leur santé mentale et à leurs relations avec les autres membres de la famille[23].
Un enfant appelé à être l’interprète d’un membre de sa famille peut en subir les conséquences suivantes :
En cas de négociation ou d’argumentation, un jeune peut se voir forcé de servir d’intermédiaire et d’ainsi diviser sa loyauté entre le professionnel de la santé et sa famille. Le recours à un enfant ou un adolescent à titre d’interprète accroît également le risque de mauvaise communication entre le médecin et la famille, ce qui risque d’entraîner des erreurs médicales, des traitements inappropriés et des consultations à l’urgence[22]. Selon les données probantes, les dispensateurs de soins n’ont pas assez conscience des effets négatifs du recours aux enfants et aux adolescents pour offrir des services d’interprétation aux membres de la famille[28].
Le comité de direction de la section de la santé des enfants et des adolescents dans le monde ainsi que le comité de la santé de l’adolescent, le comité de la santé mentale et des troubles du développement et le comité de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes.
GROUPE DE TRAVAIL DES SOINS AUX ENFANTS NÉO-CANADIENS DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE (septembre 2022)
Membres : Charles Hui, MD (président); Tony Barozzino, MD; Stacey A Bélanger, MD Ph. D.; Mahli Brindamour, MD; Muna Chowdhury, MD, Le Collège des médecins de famille du Canada; Susan Kuhn, MD; Sayo Olatunde, MD, Le Collège des médecins de famille du Canada; Radhika Shankar, MD, section des résidents de la SCP; Shazeen Suleman, MD
Auteur principal : Charles Hui, MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 23 avril 2024