Point de pratique
Affichage : le 9 juin 2020
Dana Boctor; Société canadienne de pédiatrie, Comité de nutrition et de gastroentérologie
Paediatr Child Health 2020 25(4):264. (Résumé).
Les fibres alimentaires résistent à la digestion et à l’absorption. Les prébiotiques sont des fibres alimentaires fermentescibles (qui peuvent fermenter) qui sont bénéfiques pour la santé grâce à leurs effets sur la composition et l’activité du microbiome. La consommation de fibres alimentaires confère toute une série de bienfaits physiologiques. Les enfants encouragés à manger des aliments riches en fibres apprennent à adopter un régime à forte teneur en nutriments. L’introduction de sources variées de fibres alimentaires chez les jeunes enfants contribue à cristalliser leurs futurs choix alimentaires et à diversifier leur microbiote intestinal. Une faible consommation de fibres est reliée à une plus forte prévalence de constipation et d’obésité.
Mots-clés : Children; Dietary fibre; Microbiome; Prebiotics
Une consommation suffisante de fibres alimentaires a d’importants effets bénéfiques pour la santé. Cependant, la plupart des adultes canadiens ne consomment que la moitié de l’apport quotidien recommandé de fibres alimentaires. Il y a peu d’études sur la consommation de fibres chez les enfants canadiens, mais selon des données américaines, l’apport médian de fibres chez les enfants de un à huit ans correspond également à environ la moitié de l’apport quotidien recommandé [1]. Les dispensateurs de soins sont en position idéale pour promouvoir l’adoption précoce d’un régime diversifié et riche en fibres. Des définitions relatives aux fibres, les effets physiologiques de leur consommation, leurs bienfaits connus sur la santé et des stratégies pour parvenir aux apports recommandés sont passés en revue dans le présent point de pratique. Les connaissances actuelles sur les fibres alimentaires reposent en grande partie sur des études chez des adultes, mais lorsqu’elles existent, les études en pédiatrie sont mises en relief.
Les fibres alimentaires incluent les glucides non digestibles, tels que les parois cellulaires, les oligosaccharides (p. ex., les fructo-oligosaccharides et les galacto-oligosaccharides) et les amidons résistants [2][3]. Elles sont fermentées en grande partie dans le côlon et produisent des acides gras à chaîne courte qui sont absorbés et métabolisés. Qu’elles soient de type hydrosoluble ou hydro-insoluble [4], elles sont fermentescibles, mais les micro-organismes de l’appareil digestif assurent une fermentation plus complète des fibres hydrosolubles. Le terme « prébiotique » désigne les fibres fermentescibles qui sont bénéfiques pour la santé parce qu’elles stimulent la croissance et l’activité du microbiote intestinal, qui est généralement favorable [5]. Les oligosaccharides, comme l’inuline, les fructo-oligosaccharides et les galacto-oligosaccharides, sont les prébiotiques les plus étudiés.
Les diverses propriétés physiques des fibres alimentaires, telles que l’hydrosolubilité, la viscosité et la fermentescibilité, sont responsables de multiples effets physiologiques [4][6] (tableau 1). Les fibres solubles visqueuses ralentissent la vidange gastrique, prolongent le transit de l’intestin grêle et amollissent les selles, ce qui contribue à la régularité intestinale. Les fibres solubles, qui ont des effets hypocholestérolémiants, réduisent la glycémie et l’insulinémie postprandiales. Les fibres insolubles tendent à accroître le volume des selles et à raccourcir le transit intestinal, ce qui facilite la défécation. La production d’acides gras à chaîne courte exerce plusieurs effets bénéfiques sur la santé. Par exemple, les prébiotiques contribuent à rendre le microbiome intestinal plus sain, car ils stimulent la production de bifidobactéries et de lactobacilles et inhibent la croissance des populations de bactéries pathogènes en réduisant le pH fécal par la production d’acides gras à chaîne courte [5]-[7]. Ils favorisent également la maturation du système immunitaire et améliorent l’immunité en renforçant la fonction de la barrière intestinale [5]. Un acide gras à chaîne courte, le butyrate, est particulièrement bénéfique, en raison de ses propriétés anti-inflammatoires, anti-oxydantes et anti-carcinogènes dans le côlon [6].
LDL Lipoprotéine de basse densité; Na Sodium
L’industrialisation de la production alimentaire a entraîné une baisse de la consommation de fibres, une augmentation de la consommation de sucre et de protéines animales et une diminution de la diversité microbienne dans le microbiome gastro-intestinal humain. Ces phénomènes peuvent altérer la fonction du microbiome et la production d’acides gras à chaîne courte et ainsi modifier le milieu inflammatoire, ce qui serait associé à l’apparition de maladies inflammatoires chroniques [8].
L’importance des fibres pour le transit intestinal et la santé du microbiome est bien connue. La plupart des études sur les utilisations thérapeutiques des fibres alimentaires pour contrer certaines maladies ont toutefois été réalisées chez des adultes [3][9]. Un régime pauvre en fibres représente un important facteur de risque de constipation chronique chez les enfants [10]-[12], mais les données sur le traitement de la constipation par les fibres alimentaires sont limitées et contradictoires [10][13]. En cas de constipation fonctionnelle chronique, les recommandations thérapeutiques incluent un apport normal de liquide et de fibres et la prise de laxatifs [13][14]. Le contrôle à long terme est facilité par l’adaptation des pratiques alimentaires, de manière à accroître la consommation de fibres, à promouvoir la régularité intestinale et à prévenir les rechutes [11][14][15]. Il peut être difficile, mais efficace, d’accroître l’apport de fibres chez les enfants ayant des besoins particuliers. Les préparations entérales contenant des fibres sont bien tolérées chez les enfants nourris par gavage, et il est démontré qu’elles augmentent le taux de bifidobactéries [16] et réduisent la prise de laxatifs [17].
La consommation de fibres est inversement proportionnelle aux choix alimentaires à forte teneur énergétique, aux excès de masse grasse [18] et à l’apparition du syndrome métabolique [19]. En général, les données épidémiologiques appuient le rôle des fibres pour réguler le poids [2]. Selon des données préliminaires, des régimes hypoglycémiques (riches en fibres alimentaires, ce qui réduit la glycémie et l’insulinémie postprandiales) peuvent favoriser le contrôle du poids et la réponse métabolique chez les enfants, les adolescents et les jeunes adultes [20][21]. Dans des analyses systématiques d’études sur des adultes, la consommation de prébiotiques a été reliée à une accélération subjective du sentiment de satiété, à une amélioration des paramètres métaboliques [22] et à une baisse de poids [23]. D’après deux études chez des enfants, les prébiotiques contribueraient à réduire le poids et les mesures subjectives de l’appétit [24][25]. Il faudra effectuer d’autres études d’intervention pour établir le rôle potentiel des régimes riches en fibres et de l’apport de certains types de fibres dans la prévention et le traitement de l’obésité juvénile. Selon deux études transversales chez des enfants et des adolescents, un apport de fibres élevé serait associé à une baisse du risque de syndrome métabolique [19][26]. Puisque l’obésité juvénile persiste souvent à l’âge adulte, la prévention de l’obésité est la principale stratégie pour réduire les futurs taux de syndrome métabolique [18]. Chez les adultes obèses, les prébiotiques peuvent contribuer à réguler la glycémie et l’insulinémie postprandiales [22][27], et chez les adultes atteints du diabète de type 2, les régimes riches en fibres réduisent et régulent la glycémie et améliorent l’insulinosensibilité [3]. Trop peu d’études abordent l’effet des fibres sur le risque de diabète de type 2 et son traitement chez les enfants.
Un microbiome intestinal moins diversifié est lié à des troubles gastro-intestinaux fonctionnels dans la population pédiatrique, tels que les coliques et le syndrome du côlon irritable [4]. On ne possède toutefois pas de preuves de causalité, et il faudra mener des recherches plus ciblées pour établir quelles interventions préventives et thérapeutiques sont efficaces.
D’après des études in vitro, un régime riche en fibres peut compromettre la biodisponibilité des minéraux dans l’intestin (p. ex., le calcium, le zinc et le fer). Cette constatation n’est toutefois pas bien soutenue par des études in vivo. Les minéraux peuvent être moins bien absorbés à cause de la fixation des minéraux ou d’un piégeage physique dans l’intestin grêle, mais la fermentation colique qui s’ensuit peut libérer les minéraux et en amplifier l’absorption [28]. Le statut en minéraux peut être plus préoccupant chez les enfants ayant un régime pauvre en minéraux ou atteints d’une affection gastro-intestinale qui nuit à la capacité d’absorption [1]. Il faudra mener d’autres recherches sur le sujet, y compris des études sur l’équilibre minéral des aliments riches en fibres et la biodisponibilité.
Des études publiées il y a 40 à 50 ans sur des enfants végétariens ou végétaliens (vegan) ont soulevé des inquiétudes quant au retard de croissance associé à un apport de fibres élevé. Il se peut toutefois que, dans bon nombre de ces études, la plus faible consommation de protéines alimentaires ait constitué une variable confusionnelle [29][30]. Peu d’études portent sur les répercussions d’un apport de fibres élevé sur la croissance, mais celle-ci doit être surveillée de près chez les enfants astreints à un régime végétalien rigoureux [31]. Au moment d’évaluer un enfant qui prend peu de poids, il faut toujours envisager la possibilité d’une consommation insuffisante de protéines et d’une faible densité calorique associées à un apport élevé de fibres « volumineuses ». Au Canada, où environ la moitié de la population consomme une quantité insuffisante de fibres, l’augmentation de l’apport en fibres de manière à atteindre les valeurs recommandées dans le plus récent guide alimentaire canadien risque peu de compromettre la croissance ou l’absorption des minéraux.
La promotion de régimes riches en fibres auprès des parents et des enfants
Selon des données américaines, les enfants de un à trois ans présentent un apport médian de 10 g/jour de fibres, et ceux de quatre à huit ans, de 13 g/jour [1]. Les recommandations canadiennes sont extrapolées de données chez les adultes et reposent sur un apport suffisant de fibres, correspondant à 14 g/1 000 kcal, dans tous les groupes âgés de plus d’un an [32] (tableau 2).
Les enfants dont le régime est majoritairement composé d’aliments pauvres en fibres doivent être encouragés à consommer certains aliments riches en fibres (une portion de plus de quatre grammes est considérée comme riche, et de six grammes ou plus, comme très riche).
Les aliments complets contiennent diverses proportions de fibres solubles et insolubles. Les légumineuses (p. ex., lentilles, pois chiches, haricots secs) sont riches en fibres totales, solubles et insolubles et représentent également de bonnes sources de protéines, de fer et d’acide folique. Le psyllium et certaines fibres isolées, comme la pectine, la gomme de guar ou l’inuline, sont riches en fibres solubles, alors que le son de blé, par exemple, est riche en fibres insolubles. L’oignon, l’ail, le poireau, la banane, la chicorée, l’asperge, le blé et certaines céréales font partie des aliments d’origine végétale qui renferment des prébiotiques comme les fructo-oligosaccharides et l’inuline. Une démarche vers un régime alimentaire varié facilite l’inclusion de divers types de fibres et procure donc toute une série de bienfaits physiologiques. Au moment de conseiller aux familles de diversifier leur régime alimentaire, on peut revoir avec eux les aliments qui contiennent plus ou moins de fibres, car les valeurs sont parfois surprenantes. Plutôt que d’insister sur l’importance de « compter les grammes », un échange sur des choix plus sains avec les parents et les enfants devrait les sensibiliser aux bienfaits physiologiques liés à la consommation d’aliments riches en fibres diversifiés (tableau 3) [33]-[35].
Certains parents et professionnels de la santé croient encore que les enfants refuseront les aliments riches en fibres. Dans de nombreuses parties du monde, les enfants adoptent pourtant ces aliments beaucoup plus tôt (et avec beaucoup plus d’enthousiasme) qu’au Canada. Des études ont démontré l’acceptabilité des fibres alimentaires [15][34]. S’il est vrai qu’une partie des céréales, des fruits frais et des légumes frais riches en fibres coûte relativement cher et qu’il peut être difficile de s’en procurer dans les régions éloignées ou défavorisées, les légumineuses sont des sources peu coûteuses de fibres et de protéines végétales. Un plus grand apport de légumineuses dans le régime familial représente un changement nutritionnel à haut rendement et à faible coût. Bien des familles tireraient profit de renseignements sur la préparation, la cuisson et l’intégration créative des légumineuses aux repas. Des ressources de qualité offertes en ligne font la promotion de la consommation de fibres. Au Canada, la découverte et l’intégration des aliments et des plats issus de la cuisine traditionnelle asiatique, indienne, méditerranéenne et moyen-orientale représentent d’excellents moyens de diversifier le régime alimentaire familial.
Tableau 3. Conseils à retenir |
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Le comité de la pédiatrie communautaire de la Société canadienne de pédiatrie a révisé le présent point de pratique.
COMITÉ DE NUTRITION ET DE GASTROENTÉROLOGIE DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE
Membres : Linda M. Casey MD, Eddy Lau MD (représentant du conseil), Catherine M. Pound MD (présidente), Ana M. Sant’Anna MD, Pushpa Sathya MD, Christopher Tomlinson MB, ChB, Ph. D.
Représentants : Becky Blair M. Sc. Dt.P., Les diététistes du Canada; Patricia D’Onghia MHP Dt.P., Santé Canada; Tanis R. Fenton Ph. D. Dt.P., Les diététistes du Canada; Laura Haiek, Comité canadien pour l’allaitement; Deborah Hayward, Bureau des sciences de la nutrition, Santé Canada; Sarah Lawrence MD, Groupe canadien d’endocrinologie pédiatrique
Auteure principale : Dana Boctor MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 8 février 2024