Point de pratique
Affichage : le 16 février 2018 | Reconduit : le 11 janvier 2024
Tehseen Ladha, Mohammad Zubairi, Andrea Hunter, Tobey Audcent, Julie Johnstone, Section de la santé des enfants et des adolescents dans le monde
Paediatr Child Health 2018;23:(1)70–73
Pour prodiguer de bons soins, il est crucial de communiquer de manière efficace avec les patients et leur famille. Le présent point de pratique traite de l’importance d’une communication transculturelle efficace. Les auteurs exposent le concept de compétence culturelle, ainsi que celui du modèle LEARN (acronyme anglais des mots écouter, expliquer, reconnaître, recommander et négocier), pour faciliter la communication transculturelle. Trois scénarios démontrent les difficultés de la communication transculturelle et l’application efficace du modèle LEARN. L’un porte sur un enfant autochtone, le deuxième sur un enfant à l’étranger et le dernier, sur un nouvel arrivant. Des conseils pratiques sont proposés pour favoriser les communications interculturelles.
Mots-clés : Communication; Culture; Global health; Immigrant health; Indigenous health
Depuis longtemps, le Canada est un pays d’immigration et de diversité ethnique [1]. En plus de nombreux peuples autochtones, plus de 200 origines ethniques sont représentées au Canada et plus de 50000 enfants et adolescents arrivent annuellement au pays [2]–[4]. La culture qui, dans toutes les communautés, inclut la langue, les valeurs, les croyances et les comportements, peut également façonner les interactions entre les familles et les dispensateurs de soins.
Les médecins doivent être conscients des valeurs qu’ils apportent avec eux dans leur relation avec les patients, de même que des conséquences possibles de la culture du patient sur sa santé ou son traitement [5]. Des communications transculturelles inefficaces peuvent nuire au pronostic du patient. En effet, elles peuvent être responsables d’un mauvais diagnostic, d’hospitalisations répétées ou d’une compliance insatisfaisante aux traitements [5]. Le présent point de pratique, qui fait appel au modèle LEARN dans trois scénarios cliniques, fournit un cadre pratique d’interactions avec les patients [6].
La compétence culturelle désigne des soins efficaces aux patients de diverses cultures grâce à la collaboration et à des communications efficaces [5]. Les médecins qui sont conscients de leur propre bagage culturel et de celui de leurs patients, ainsi que des valeurs souvent implicites dans les modèles médicaux actuels, sont mieux en mesure de parvenir à une compréhension mutuelle pendant la rencontre avec le patient et à se concentrer sur des interventions respectueuses de la culture [5]–[7].
Le modèle LEARN (acronyme anglais des mots écouter – Listen, expliquer – Explain, reconnaître – Acknowledge, recommander – Recommend, et négocier – Negotiate) est un cadre de communication transculturelle qui favorise une compréhension mutuelle et de meilleurs soins aux patients [6].
Écouter : Évaluer comment chaque patient perçoit ses pro blèmes de santé, les causes de ces problèmes et les traitements potentiels. Expliquer ce qui est attendu de la rencontre et adopter une ouverture d’esprit et une attitude humble pour promouvoir la confiance et la compréhension.
Expliquer : Transmettre ses propres perceptions du problème de santé, sans toutefois oublier que les patients peuvent perce voir la santé ou la maladie autrement, à la lumière de leur culture ou de leur origine ethnique.
Reconnaître : Faire preuve de respect pendant les discussions sur les différences entre les points de vue du patient et les siens. Faire ressortir les points d’entente et les différences, et tenter de déterminer si des systèmes de croyances disparates peuvent déboucher sur un dilemme thérapeutique.
Recommander : Préparer et proposer un plan de traitement au patient et à sa famille.
Négocier : S’entendre sur le plan de traitement avec le patient et sa famille, y intégrer des approches respectueuses de la culture qui tiennent compte des perceptions du patient à l’égard de la santé et de la guérison.
Vous êtes un pédiatre qui travaillez dans une clinique ambulatoire d’un centre urbain. Myna est une fillette inuite de dix ans qui vient d’une communauté inuite du Grand Nord. Elle a rendez-vous à cause de symptômes de dépression et de comportement oppositionnel. Vous vous informez à la mère de Myna de ces comportements et vous trouvez qu’elle ne vous répond pas grand-chose. Vous demandez à Myna : « Comment ça se passe à la maison? » Votre question est accueillie par le silence. Sa mère détourne les yeux.
Pour savoir comment interpréter les silences et y réagir, il faut comprendre le rôle du silence dans une interaction [8]. Le silence peut découler d’un malaise vis-à-vis d’une question, d’incertitude quant à sa signification ou d’appréhension sur les raisons qui la sous-tendent. De plus, dans la culture inuite et d’autres cultures, les expressions faciales peuvent constituer une réponse. Le dispensateur de soins doit absolument éviter de s’empresser de combler le silence [9]. Si vous prêtez attention aux indices non verbaux, vous pourrez corriger une perception de rapport de force inégal, qui nuit parfois à l’établissement d’une relation entre le dispensateur de soins et le patient [5]. Il est capital d’instaurer un climat de confiance et de compréhension mutuelle pour donner voix au chapitre aux familles et optimiser les soins au patient [10].
Certains problèmes courants peuvent surgir dans la négociation du plan de soins avec les personnes responsables de l’enfant : le fait que les parents ne soient pas à l’hôpital, les occasions limitées de dialogue et la participation aux décisions médicales de membres de la communauté qui ne font pas partie de la famille. Certaines cultures favorisent une autorité décisionnelle qui dépasse celle de la famille nucléaire dans la prise de décision. Dans les sociétés collectivistes, il peut être important de faire participer les membres de la communauté à la préparation du plan de traitement.
Conformément au modèle LEARN, vous commencez par évaluer les attentes de la famille de Myna à l’égard du rendez-vous. Vous vous informez des expériences de la famille, de ses préoccupations et de ce qui, à son avis, est la raison du rendez-vous. Expliquez pourquoi vous posez certaines questions et quelle est l’utilité des réponses. Cette approche peut atténuer le stress et les inquiétudes de la famille. D’après l’information obtenue dans l’anamnèse, recommandez une évaluation plus approfondie ou un traitement, et faites participer la famille et d’autres membres de la communauté par des négociations adaptées à la culture.
Vous êtes bénévole auprès d’une organisation médicale outre-mer, en Inde. Un garçonnet de neuf mois, Ayaan, souffre d’une grave anémie ferriprive, est allaité et ne prend pas d’aliments solides. Vous expliquez à la mère l’importance d’intégrer à son alimentation des suppléments en fer et des aliments solides riches en fer. Pendant que vous lui parlez, elle baisse les yeux et secoue la tête. Vous pensez que la mère d’Ayaan s’inquiète des effets secondaires d’un médicament étranger et commencez à la rassurer. Elle répond qu’elle essaiera de suivre vos directives, mais elle garde les yeux baissés.
Les modes de communication varient énormément entre les cultures. Traditionnellement, les cultures occidentales recourent à des formes de communication directe (peu de contexte), qui font peu appel aux expériences antérieures, aux indices non verbaux ou au contexte pour transmettre des idées [11]. De nombreuses cultures se fient à des formes de communication indirectes (riches en contexte), qui contiennent un message non explicite transmis par le langage corporel, le ton de la voix et d’autres indices [12]. Lors de ces interactions, la diplomatie et le tact sont primordiaux, et la perception de différences de statut peut facilement nuire à une franche communication. Le fait de connaître ces formes de communication si variées peut faciliter une compréhension mutuelle.
La culture peut avoir une grande influence sur les types de communication et les croyances relatives à la santé, mais un même groupe culturel peut être très diversifié. Il est essentiel d’essayer de comprendre les croyances de chaque patient et d’éviter les généralisations culturelles. Dans certaines situations, des problèmes surgissent à cause de valeurs personnelles ou de facteurs familiaux ou environnementaux [12].
Vous vous rendez compte que quelque chose cloche et commencez à utiliser le modèle LEARN. Vous demandez à la mère si son inquiétude est causée par l’anémie ou les suppléments de fer. Vous la rassurez en ajoutant qu’elle peut vous faire part de ses inquiétudes ou de son désaccord. Elle vous avoue qu’elle s’inquiète de votre recommandation de donner des aliments solides à son fils et non des suppléments de fer. Elle vous explique que son fils n’a pas encore de dents et qu’elle a peur qu’il s’étouffe. Vous répondez que vous comprenez son inquiétude et lui expliquez les raisons d’intégrer des aliments solides, y compris l’importance qu’Ayaan apprenne à manger ses premiers aliments en toute sécurité. Vous discutez avec elle des aliments souvent consommés dans la famille et vous vous entendez sur l’introduction de quelques aliments et céréales, mous, riches en fer et réduits en purée qu’elle est prête à essayer en plus des suppléments de fer.
Vous accueillez Waseem, un garçonnet de deux ans qui est récemment arrivé d’Irak en qualité de réfugié. Ses parents parlent surtout l’arabe. Le grand frère de Waseem, Fariz, qui a 13 ans, accepte de jouer le rôle d’interprète. En vous fiant au modèle LEARN, vous commencez par poser des questions ouvertes sur l’histoire de migration de la famille, ses conditions de vie avant la migration et ses conditions de vie actuelles. Fariz vous transmet la plus grande partie de l’information sans poser de questions à ses parents. Lorsque vous vous informez des problèmes d’acculturation, Fariz répond que la famille « s’en sort bien ». Un peu plus tard, vous apprenez que Waseem ne dit que quelques mots et qu’il ne marche pas encore. Vous vous demandez comment faire pour obtenir un meilleur portrait des problèmes qui contribuent au retard de développement de Waseem.
La prestation de soins dans une langue que la famille maîtrise mal est un facteur de risque connu de résultats cliniques défavorables [13]. Les interprètes culturels sont formés pour aider les familles de nouveaux arrivants à s’y retrouver dans les conversations d’ordre médical. Ils peuvent fournir des traductions claires et précises dont le sens est nuancé et qui incluent des indices non verbaux, tout en s’assurant de ne pas « diriger » la conversation.
Il faut éviter de demander à un membre de la famille ou à un ami (particulièrement un enfant) de jouer le rôle d’interprète. Celui-ci est plus susceptible de modifier ou de réinterpréter l’information pour éviter les conflits et protéger la famille [14]. Le patient et sa famille ne seront peut-être pas aussi disposés à répondre si des membres de leur communauté traduisent pour eux. La pratique recommandée consiste à recourir à un interprète culturel ou à un service langagier téléphonique.
Des applications de traduction comme Google Translate peuvent être utiles pour poser des questions simples, mais elles ne sont pas fiables pour procéder à l’anamnèse. Elles ne transmettent pas les nuances de la langue ou de la culture, qui sont essentielles pour assurer des soins médicaux efficaces. L’encadré 1 contient des conseils utiles pour travailler avec des interprètes, et le site Web Les soins aux enfants néo-canadiens de la SCP fournit plus d’information sur le sujet (www.enfantsneocanadiens.ca) [14].
La documentation écrite peut dérouter bien des familles de nouveaux arrivants qui maîtrisent peu le français ou l’anglais. Dans la mesure du possible, il faut privilégier de la documentation traduite dans la langue du patient [15]. Si vous demandez aux familles comment elles préféreraient recevoir l’information, vous éviterez les problèmes relatifs à la littératie.
Il faut plus de temps pour assurer une interprétation culturelle appropriée, ainsi que pour aborder des questions sensibles, comme l’acculturation ou la compréhension des questions relatives à la santé et à la maladie. La planification de rendez-vous plus longs et répétés avec le même dispensateur de soins, et idéalement avec le même interprète, peut contribuer à assurer une compréhension mutuelle des problèmes de santé et la sélection de plans de traitement mutuellement acceptables.
Encadré I. Conseils pour travailler avec des interprètes
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Le comité de la pédiatrie communautaire, le comité d’étude du fœtus et du nouveau né et le comité de la santé des Premières nations, des Inuits et des Métis de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent point de pratique.
Membres : Dominic Allain MD (président), Tobey Audcent MD (membre sortante), Robert Bortolussi MD (président sortant), Mahli Brindamour MD (présidente désignée), Andrea Evans MD (administratrice), Tehseen Ladha MD (administratrice sortante), Jennifer Turnbull MD (secrétaire-trésorière), Ashley Vandermorris MD (administratrice)
Représentantes : Sara Citron MD, Alyson Holland MD (section des résidents de la SCP)
Auteurs principaux : Tehseen Ladha MD, Mohammad Zubairi MD, Andrea Hunter MD, Tobey Audcent MD, Julie Johnstone MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 30 mai 2024