Point de pratique
Affichage : le 19 avril 2018 | Reconduit : le 11 janvier 2024
Mark L. Norris, Jacqueline D. Hiebert, Debra K. Katzman; Société canadienne de pédiatrie, Comité de la santé de l’adolescent
Paediatr Child Health 2018 23(8):552 (Résumé)
L’établissement d’un poids précis, nécessaire pour obtenir un rétablissement physique, affectif et cognitif, fait partie des difficultés qu’affrontent les professionnels de la santé en pédiatrie auprès des enfants et des adolescents atteints d’anorexie mentale (AM). Les cliniciens et les chercheurs éprouvent de la difficulté à normaliser le processus, la méthodologie et la terminologie de ce qu’on appelle « l’objectif thérapeutique de poids » (OTP). Le présent point de pratique résume les recommandations tirées de méthodes courantes pour établir les OTP chez les enfants et les adolescents atteints d’AM, qui reposent à la fois sur des publications fondées sur des données probantes et sur un consensus d’experts. On y propose une approche personnalisée pour établir l’OTP, de même que certaines spécificités dans des situations cliniques particulières. De multiples facteurs orientent le processus menant à l’établissement d’un OTP pour un enfant ou un adolescent atteint d’AM, mais il est essentiel de leur accorder une attention personnalisée, particulièrement à l’égard des percentiles de poids, de taille et d’indice de masse corporelle ainsi que des courbes de croissance pédiatriques recensés pendant la période prémorbide. On souligne également la nécessité d’un suivi continu et d’une réévaluation régulière au sein de cette population.
Mots-clés : AN; EDs; Paediatrics; TGW
Jusqu’à présent, le consensus d’experts et les données probantes ont contribué à établir des objectifs thérapeutiques de poids (OTP) chez les enfants et les adolescents atteints d’anorexie mentale (AM). L’OTP désigne le poids nécessaire pour favoriser la puberté, la croissance et le développement et maintenir l’activité physique et les fonctions psychologique et sociale. Il est important de contextualiser l’OTP de chaque enfant ou adolescent en fonction de ses antécédents de croissance (poids, taille et phase de la puberté), des modifications de son poids et de sa taille, de son apport et sa dépense énergétiques et de l’ampleur de la malnutrition présumée.
De toute évidence, la méthode utilisée pour établir l’OTP (p. ex., percentiles de croissance prémorbides, examen des percentiles de taille et de poids, calcul de l’indice de masse corporelle médian [IMCm] ou poids seuil des menstruations) peut donner lieu à des résultats cliniques fort différents. Au tableau 1 sont comparées les méthodes courantes pour établir l’OTP.
Les cliniciens doivent accepter que, jusqu’à maintenant, il n’y a aucune méthode parfaite pour établir l’OTP d’un enfant ou d’un adolescent. À l’heure actuelle, on simplifierait un problème complexe à outrance si on qualifiait une méthode d’optimale [1]-[3]. Comme dans de nombreuses décisions cliniques, l’établissement de l’OTP peut reposer sur plus d’une méthode fondée sur des données probantes. Fait important, le résumé des méthodes proposées dans le présent texte et au tableau 1 tient compte de la nécessité d’opter pour des soins personnalisés, axés sur les patients.
Dans la mesure du possible, l’établissement d’un OTP doit découler de l’analyse attentive d’une série de mesures anthropométriques (taille, poids et calcul de l’indice de masse corporelle [IMC]) consignées sur une courbe de croissance pédiatrique. Les recommandations fondées sur des données probantes portant sur les avantages des courbes de croissance de l’OMS par rapport à celles des Centers for Disease Control (CDC) dépassent la portée du présent point de pratique, mais peuvent être consultées, en anglais, à l’adresse www.cdc.gov/growthcharts/index.htm. Grâce à des mesures consignées précises, le clinicien comprend mieux la trajectoire de croissance physique prémorbide du patient et ses prédispositions génétiques en matière de poids, de taille et de morphologie. Il faut également tenir compte d’autres caractéristiques cliniques personnelles, telles que l’âge, le sexe, la race, l’âge au début de la puberté, la phase de puberté en cours, l’histoire alimentaire et le niveau d’activité prémorbides, ainsi que, s’il y a lieu, l’âge au début des menstruations et le poids au moment de l’arrêt des menstruations (poids seuil des menstruations).
Lorsque l’information relative aux courbes de croissance n’est pas accessible ou est incomplète, les cliniciens peuvent envisager d’établir l’OTP d’après le calcul de l’IMCm (50e percentile de l’IMC en fonction de l’âge et du sexe). Cette méthode est courante en pratique clinique et dans les études sur les patients ayant des troubles de l’alimentation (TA). Cependant, les cliniciens doivent en connaître les limites, tant chez les enfants que chez les adolescents qui se situaient aux extrêmes du spectre d’IMC pendant la période prémorbide que dans les cas d’AM atypiques (p. ex., les patients qui respectent tous les critères d’AM, mais qui, malgré une perte de poids considérable, ont un poids égal ou supérieur à la fourchette normale, comme dans le cas 2 du tableau 1) [4]. Selon la Society for Adolescent Health and Medicine, l’OTP d’un patient donné ne peut pas être simplement extrait des courbes de croissance en fonction de données démographiques normatives. Autrement dit, l’OTP ne correspond pas nécessairement au poids associé à l’IMC médian [1].
Enfin, on peut également tenir compte du poids à la reprise de la fonction menstruelle (RFM) pour établir l’OTP chez les filles. Toutefois, cette méthode s’applique seulement à certaines filles, car pour bon nombre d’entre elles, elle n’est pas applicable (chez les filles qui n’ont pas encore eu leurs règles, qui continuent de les avoir malgré une importante perte de poids ou qui prennent des contraceptifs hormonaux). Selon certaines recherches, un OTP établi à 2 kg au-delà du poids seuil des menstruations serait efficace [5], mais d’autres indiquent qu’en moyenne, la RFM survient à un poids plus élevé [6]. Les cliniciens doivent se rappeler que le poids à la RFM doit être considéré comme le minimum requis pour être en santé. Pour obtenir des cycles menstruels réguliers et rétablir une masse corporelle maigre et une santé physique générale, il faudra peut-être une prise de poids plus importante [7]-[9].
Après avoir envisagé les recommandations précédentes, les cliniciens doivent se fier à leur jugement clinique pour établir un OTP. Il peut également leur être utile de consulter un programme de TA pédiatrique. Le processus d’établissement de l’OTP est itératif, doit faire l’objet d’un suivi, de nouveaux calculs et de rajustements périodiques en fonction de la croissance et s’appuyer sur la santé globale du patient.
Lorsque la restriction nutritionnelle a ralenti la vitesse de croissance et provoqué une diminution globale du percentile de taille, il est recommandé de mesurer l’âge osseux. Si l’âge osseux accuse un retard, mais que le clinicien constate un potentiel de croissance, il peut envisager d’établir l’OTP en fonction d’un percentile conforme au profil de croissance prémorbide du patient, afin d’optimiser le potentiel de croissance résiduel [8]. D’après les données probantes, une prise de poids rapide et soutenue jusqu’à l’atteinte des percentiles de poids prépubertaires peut favoriser le rattrapage de la stature [8].
Chez certains patients, il est particulièrement difficile d’établir l’OTP optimal. Des antécédents de régime amaigrissant ou d’exercice excessif, d’habitudes alimentaires déstructurées ou chaotiques, de compulsion alimentaire, de comportements compensatoires (p. ex., jeûne, vomissements volontaires, mésusage de laxatifs, diurétiques ou lavements), des troubles de santé mentale antérieurs ou concomitants (p. ex., dépression ou anxiété) ou la consommation de médicaments (p. ex., stimulants ou antipsychotiques atypiques) peuvent nuire à la croissance et au développement normaux, tel que le démontrent des changements de percentile sur une courbe de croissance. Dans d’autres cas, il se peut que le clinicien n’ait pas accès à l’information antérieure sur la croissance (dossier de poids et de taille, courbes de croissance pendant la période prémorbide), ce qui accroît d’autant plus l’importance d’une anamnèse détaillée et précise sur le régime alimentaire, l’activité et la situation psychosociale. Devant d’importantes incertitudes cliniques, les cliniciens peuvent reporter l’établissement de l’OTP. Il peut alors être préférable de concentrer les premiers objectifs thérapeutiques sur la normalisation des habitudes alimentaires (être non restrictif ou éliminer les comportements de purge) combinée à l’adoption d’un mode de vie plus équilibré. Dans une telle situation, on présume que les signes vitaux, les résultats de l’examen physique (chez les filles, particulièrement la fonction menstruelle) et les marqueurs de laboratoire se situent tous dans une plage acceptable et que les symptômes et comportements de TA ont disparu.
L’OTP d’un enfant ou d’un adolescent qui reçoit un traitement d’AM doit être réévalué tous les trois à six mois.
L’OTP doit être présenté au patient, à la famille ou aux autres personnes qui s’occupent de l’enfant ou de l’adolescent comme le poids minimal acceptable pour assurer une bonne santé globale, et cet OTP évoluera conjointement avec la croissance et le développement du patient. Il faut insister sur le fait que l’AM peut nuire à une croissance et à un développement physique, psychologique et sociaux normaux. Même si le patient ou les personnes qui s’occupent de lui risquent de ressentir de l’anxiété à l’égard de l’OTP, il est important de ne pas accepter de compromis, surtout lorsque la modification de l’OTP va à l’encontre du jugement clinique. L’abaissement de l’OTP risque de favoriser un rétablissement incomplet.
L’établissement d’un OTP pour un enfant ou un adolescent atteint d’AM est un processus itératif qui exige de comprendre les publications fondées sur les données probantes et les consensus d’experts et d’y ajouter le jugement clinique. De multiples facteurs orientent le processus, mais il est essentiel d’accorder une attention personnalisée au patient, particulièrement aux poids, aux tailles, aux percentiles d’IMC et aux courbes de croissance pédiatriques observés pendant la période prémorbide. Puisque les enfants et les adolescents peuvent continuer de croître et de se développer, il faut réévaluer les OTP régulièrement, en fonction de l’évolution du traitement.
Le comité de la santé mentale et des troubles du développement, le comité de nutrition et de gastroentérologie et le comité de la pédiatrie communautaire de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes.
Membres : Guiseppina Di Meglio MD, Natasha Johnson MD, Margo Lane MD (présidente), Karen Leis MD (représentante du conseil), Mark L. Norris MD, Ellie Vyver MD, Elisabeth (Lisette) Yorke MD (membre résidente de la SCP)
Représentante : Megan Harrison MD, section de la santé de l’adolescent de la SCP
Auteurs principaux : Mark L. Norris MD, Jacqueline D. Hiebert RD, Debra K. Katzman MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 30 mai 2024