Point de pratique
Affichage : le 11 août 2017 | Reconduit : le 3 mars 2023
Susan Albersheim, Kevin Coughlin; Société canadienne de pédiatrie, Comité de bioéthique
Paediatr Child Health 2017 22(6):360-62.
Les praticiens en pédiatrie interagissent avec des représentants de l’industrie pour bien des motifs, mais la plupart du temps, ils recherchent de l’information sur les nouveaux produits et ceux déjà existants. Ils se pensent à l’abri des influences publicitaires qu’exercent ces représentants, mais les recherches démontrent qu’il en est autrement. D’après les publications, la population est au courant de ces influences, et la plupart des gens les trouvent inappropriées. Les lignes directrices nationales contribuent jusqu’à un certain point à réglementer les interactions entre les praticiens et l’industrie, mais elles ne sont pas toujours claires ni suffisantes. Le présent point de pratique aborde le contexte de ces relations, soulève certains enjeux déontologiques propres aux praticiens en pédiatrie et contient des recommandations pour assurer le maintien de l’intégrité professionnelle dans le cadre de la relation entre le patient et le médecin. Dans leurs interactions avec l’industrie, les praticiens en pédiatrie ont le devoir professionnel de respecter, d’abord et avant tout, l’intérêt du patient.
Mots-clés : Beneficence, COI, Gifting, Non-maleficence
Les praticiens en pédiatrie (les praticiens) ont des interactions régulières avec « l’industrie ». Aux fins du présent document, ce terme désigne les représentants d’entreprises privées, de l’industrie pharmaceutique, des fabricants de dispositifs médicaux, des concepteurs de produits nutritionnels et de santé et des fournisseurs de services. Les praticiens dépendent de l’industrie pour assurer la production et la distribution des produits et services essentiels à l’exercice de la médecine. Dans un sondage national réalisé aux États-Unis, la majorité des médecins (94 %) ont déclaré avoir des relations d’affaires avec l’industrie, et les médecins en pratique privée ou en groupe de pratique rencontraient les représentants de l’industrie plus souvent que les médecins qui exerçaient en milieu hospitalier ou en clinique [1]. Dans le cadre de ces relations, les médecins se croyaient insensibles à l’influence de l’industrie, mais n’attribuaient pas toujours la même impartialité à leurs collègues [2].
Afin d’accroître ses profits, l’industrie emploie des représentants pour rencontrer les médecins, ce qui lui coûte des milliards de dollars par année [3]. Le public est au courant de ces efforts de marketing. Ainsi, 59 % des participants à une étude ont répondu que l’industrie influence les habitudes de prescription des médecins, tandis que 54 % ont classé les cadeaux qui n’ont rien à voir avec l’exercice de la médecine comme inappropriés ou extrêmement inappropriés [4][5]. Le présent point de pratique expose quelques importantes préoccupations potentielles que les praticiens doivent connaître dans le cadre de cette relation avec l’industrie, de même que les considérations éthiques, les lignes directrices en place et les recommandations sur la manière de gérer les relations parfois difficiles avec l’industrie. Les facteurs entourant la recherche commanditée par l’industrie demeurent très importants, mais dépassent la portée du présent point de pratique.
Le praticien a comme rôle de prodiguer les meilleurs soins aux nourrissons, aux enfants et aux adolescents et de puiser dans des connaissances à jour fondées sur des données probantes, tout en tirant un revenu décent de sa pratique. Le rôle de l’industrie consiste à fournir des produits de santé efficients tout en dégageant des bénéfices pour les actionnaires [6]. Les praticiens et les patients dépendent de l’industrie pour assurer le développement et la mise en marché de nouveaux produits. De plus, les praticiens occupés se fient souvent aux représentants de l’industrie pour obtenir de l’information sur les produits. Cependant, les praticiens doivent savoir que les représentants de l’industrie leur présentent de l’information qui peut comporter des biais. Ils sont donc tenus de procéder à l’évaluation critique des publications scientifiques dans le cadre de leur pratique quotidienne et ne doivent jamais oublier que le représentant de l’industrie vise toujours à présenter ses produits sous un jour favorable [7]. Il arrive que l’information sur le produit soit transmise pendant un repas ou accompagnée d’une babiole comportant le logo de l’entreprise. C’est peut-être ainsi que se font les affaires dans d’autres secteurs de l’économie, mais ce n’est pas nécessairement approprié en milieu médical. Les praticiens sont responsables de prodiguer des soins médicaux axés sur des données probantes, non biaisés par le marketing.
Dans toute relation commerciale, la remise d’un cadeau, même symbolique, peut créer un sentiment d’obligation susceptible d’exercer une « influence » [8]. Les patients peuvent se demander si le praticien qui rédige une prescription à l’aide d’un stylo arborant le logo du fabricant du le médicament a vraiment leur intérêt à cœur. Ils s’interrogeront encore davantage s’ils apprennent que cette entreprise a payé les frais d’un colloque médical sur ses produits les plus récents. Le premier devoir du praticien est envers ses patients, tandis que le devoir de l’industrie est plutôt envers les actionnaires. Il est important de garder cette distinction à l’esprit lorsqu’on évalue les ramifications éthiques de la relation entre le praticien et l’industrie.
Le praticien, à titre de fiduciaire, exerce un certain pouvoir sur chaque patient (ou bénéficiaire) et a le devoir d’agir dans l’intérêt supérieur de celui-ci. Dans sa relation avec les patients, il doit toujours éviter de prendre en considération son intérêt personnel et d’exploiter leur vulnérabilité [9]. Cette relation privilégiée s’assortit d’une responsabilité éthique, celle d’entretenir une relation sans lien de dépendance avec l’industrie.
L’intégrité personnelle est essentielle pour le respect de soi et la réputation professionnelle. Dans l’ensemble, les médecins n’ont pas l’impression d’être personnellement influencés par l’industrie [2]. Cependant, la question fondamentale n’est pas de savoir si la relation du médecin avec l’industrie influence ou non ses habitudes de prescription. Le fait que cette relation puisse influer sur la pratique médicale suffit pour en justifier un examen attentif [8].
L’industrie fait des cadeaux avant tout pour créer une attente de réciprocité. Ces cadeaux peuvent nuire à l’objectivité, entacher le comportement professionnel et ébranler le respect des patients, des parents ou des collègues. Les cadeaux ou autres mesures incitatives qui ne sont pas bénéfiques aux patients visent à influencer les comportements et ne devraient jamais être acceptés [10]. Même des cadeaux symboliques comme des stylos, des tasses ou des blocs-notes, dont le principal objectif est d’afficher le logo de l’entreprise, peuvent miner la confiance des patients et de leur famille [11].
Les praticiens sont des mentors et des modèles pour les étudiants, les stagiaires et leurs collègues moins expérimentés, parfois trop faciles à influencer. Il est dans l’intérêt de tous de s’assurer que les relations des praticiens avec l’industrie sont toujours transparentes et justifiables sur le plan éthique.
Il n’est que trop facile pour les praticiens de se trouver en situation de conflit d’intérêts (CdI) ou devant des intérêts divergents. Ces intérêts peuvent découler d’un CdI réel, apparent ou potentiel, défini comme « une situation dans laquelle des considérations d’ordre financier ou d’autres facteurs personnels risquent d’altérer ou de biaiser le jugement professionnel et l’objectivité. » [12] Il peut être difficile de définir clairement ce qui constitue des liens commerciaux qui se rapportent à cette situation. Une entreprise qui verse des revenus à des individus ou à des établissements qui prescrivent son produit en est un exemple évident. Le fait de prescrire un produit d’une entreprise dont vous êtes actionnaire en est un autre. Lorsqu’ils sont en CdI, les praticiens peuvent tenir compte de leurs intérêts personnels avant ceux de leurs patients, ce qui n’est pas toujours aussi clairement défini que dans les exemples précédents. Comme on l’a souligné, de petits cadeaux peuvent créer des attentes et des élans de réciprocité qui ne sont jamais exprimés franchement. Une apparence de CdI peut entraîner une perte de confiance de la part des patients, des parents ou d’autres professionnels de la santé. Le risque de nuire à la relation entre le patient et le praticien est trop cher payé: il faut divulguer tout CdI réel ou potentiel et le résoudre dans l’intérêt supérieur des patients. Dans la plupart des pays industrialisés, la transparence est la norme minimale [6][13].
L’industrie distribue des « échantillons gratuits » pour contribuer à vendre un produit. Cette technique de marketing crée une tendance au statu quo, c’est-à-dire que les médecins et les patients ne souhaitent pas changer de médicament lors que celui qu’ils utilisent fonctionne [14]. Il arrive que des familles ne puissent se permettre un traitement donné, mais si les échantillons gratuits constituent la norme des soins et qu’autrement, l’enfant ne serait pas traité, ceux-ci peuvent alors convenir, pourvu qu’ils soient fournis pendant toute la durée du traitement.
Divers organismes de réglementation ont publié des lignes directrices au sujet de la relation entre le praticien et l’industrie [15]-[18]. Il est important que les praticiens connaissent à la fois les politiques locales et nationales.
Les lignes directrices de l’Association médicale canadienne (AMC) précisent que le médecin est tenu de divulguer ses liens avec l’industrie et l’importance de trancher tout CdI en faveur des patients. Ainsi, les médecins en exercice ne devraient pas accepter de l’industrie des cadeaux personnels d’une grande valeur monétaire ou autre [15]. Les lignes directrices de l’AMC sont approuvées par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (CRMCC) [16], la Société canadienne de pédiatrie [18] et de nombreux établissements de santé locaux. Toutefois, elles ne vont peut-être pas assez loin, car comme on l’a démontré, même de petits cadeaux peuvent éveiller un sentiment d’obligation de la part des praticiens [2].
Conformément aux lignes directrices de l’AMC, le CRMCC limite la commandite de la formation médicale continue (FMC) à des repas modestes ou à des activités sociales qui sont organisés dans le cadre d’un congrès ou d’un colloque, et le financement des conférenciers à « des honoraires raisonnables et [au] remboursement de leurs frais de déplacement, de logement et de repas. » [15] Il souligne que les médecins doivent être vigilants et saisir la différence entre la formation et la commercialisation [16]. Pour mieux faire face à ces préoccupations, les organismes d’accréditation de la plupart des pays industrialisés recommandent une approche pédagogique [19]. Dans une analyse de dix études, on a constaté que les interventions pédagogiques influençaient les attitudes des résidents, des étudiants en médecine et des professeurs envers l’industrie [19]. Une autre étude a confirmé ces constatations, mais a établi que, même s’ils connaissaient les lignes directrices de leur établissement sur les limites des interactions avec l’industrie, plus de 20 % des médecins trouvaient approprié de participer à un souper modeste dans un restaurant, sans élément de formation, tandis que près de 10 % trouvaient approprié d’accepter des vacances payées par l’industrie [20].
L’Association of American Medical Colleges propose des lignes directrices rigoureuses pour régir les interactions entre les médecins qui travaillent dans des établissements universitaires et l’industrie [17]. Il serait bénéfique de rédiger des lignes directrices comparables pour réglementer ces interactions en pratique privée.
Le praticien en pédiatrie a comme rôle d’agir dans l’intérêt supérieur des patients. Dans ses relations avec l’industrie, il doit respecter les préceptes suivants :
Dans son rôle, le praticien doit agir dans l’intérêt supérieur du patient. En plus de faire preuve d’une diligence raisonnable dans l’examen des risques et des avantages des traitements disponibles et d’évaluer les publications fondées sur des données probantes, il est essentiel de maintenir l’intégrité de la relation entre le praticien et le patient. Une complète transparence s’impose, tant à l’égard des mesures incitatives de l’industrie qu’à l’égard des programmes de formation, afin de mieux comprendre la relation entre les praticiens et l’industrie. En dernière analyse, la relation fiduciaire avec les patients, de même que la relation de confiance, cruciale entre le patient et son praticien, sont trop importantes pour être mises en péril.
Le comité d’étude du fœtus et du nouveau-né, le comité des maladies infectieuses et d’immunisation, le comité du congrès annuel et le comité du perfectionnement professionnel continu de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent point de pratique.
COMITÉ DE BIOÉTHIQUE DE LA SCP
Membres : Kevin Coughlin MD (président sortant), Dawn Davies MD (présidente), Julie Emberley MD, Marie-Claude Grégoire MD, Ian Mitchell MD, Aideen Moore MD, Paul Thiessen MD (représentant du conseil)
Auteurs principaux : Susan Albersheim MD, Kevin Coughlin MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 8 février 2024