Document de principes
Affichage : le 16 août 2018 | Reconduit : le 11 janvier 2024
Une déclaration conjointe avec Le Collège des médecins de famille du Canada
Eugene Ng, Amanda D. Loewy, Comité d’étude du fœtus et du nouveau-né
Paediatr Child Health 2018, 23(6):398–402.
Les nouveau-nés sont vulnérables à une hémorragie par carence en vitamine K (HCVK) en raison de réserves prénatales insuffisantes et d’un déficit de vitamine K dans le lait maternel. D’après une analyse systématique des données probantes jusqu’à présent, une injection unique de vitamine K par voie intramusculaire (IM) à la naissance prévient l’HCVK avec efficacité. Selon les données scientifiques actuelles, une dose unique ou des doses répétées de vitamine K par voie orale (PO) sont moins efficaces pour prévenir l’HCVK que la vitamine K IM. La Société canadienne de pédiatrie et Le Collège des médecins de famille du Canada recommandent l’administration IM systématique d’une dose unique de 0,5 mg à 1,0 mg de vitamine K à tous les nouveau-nés. L’administration de vitamine K PO (2,0 mg à la naissance, repris à l’âge de deux à quatre semaines et de six à huit semaines) doit être réservée aux nouveau-nés dont les parents refusent l’administration de vitamine K IM. Les dispensateurs de soins devraient expliquer aux parents que leur nouveau-né court un plus grand risque d’HCVK si cette posologie est privilégiée. Les données probantes actuelles sont insuffisantes pour recommander l’administration systématique de vitamine K par voie intraveineuse aux nouveau-nés prématurés en soins intensifs.
Mots-clés : HDNB; Newborn; Prophylaxis; Vitamin K; VKDB
Le syndrome hémorragique du nouveau-né (SHNN) a été identifié pour la première fois il y a plus d’un siècle [1]. Il se manifeste par des saignements inattendus, souvent sous forme d’hémorragie gastro-intestinale, d’ecchymoses, et dans bien des cas, d’hémorragie intracrânienne. Le SHNN est généralement causé par des réserves prénatales insuffisantes de vitamine K, combinées à une quantité insuffisante de vitamine K dans le lait maternel. Il existe trois types d’hémorragie par carence en vitamine K (HCVK) : d’apparition précoce (dans les 24 heures suivant la naissance), classique (à l’âge de deux à sept jours) et d’apparition tardive (de l’âge de deux à 12 semaines jusqu’à six mois). L’HCVK précoce s’associe souvent à la prise de médicaments par la mère, qui inhibent l’activité de la vitamine K, tels que les antiépileptiques. L’HCVK classique s’associe à un faible apport alimentaire de vitamine K, et l’HCVK tardive, à une malabsorption chronique et à un faible apport alimentaire de vitamine K [2].
Depuis 1961, l’American Academy of Pediatrics (AAP) recommande d’administrer une dose unique de 0,5 mg à 1,0 mg de vitamine K par voie intramusculaire (IM) à tous les nouveau-nés peu après la naissance, afin de prévenir l’HCVK [3]. La Société canadienne de pédiatrie (SCP) recommande un traitement prophylactique semblable depuis 1988, mais trouvait également acceptable l’administration d’une dose de 2,0 mg de vitamine K par voie orale (PO) dans les six heures suivant la naissance, sa reprise à l’âge de deux à quatre semaines, puis de six à huit semaines [4][5].
L’AAP continue de préconiser l’utilisation exclusive de vitamine K IM pour tous les nouveau-nés. Cette recommandation repose sur une analyse des systèmes de surveillance de quatre pays (Allemagne, Australie, Pays-Bas et Suisse) selon laquelle l’administration de vitamine K PO était moins efficace que son administration IM et pouvait s’associer à une plus grande incidence d’échecs [6]. De plus, une analyse du groupe de travail ponctuel sur la vitamine K réalisée en 1993 par l’AAP a dissipé les inquiétudes voulant que l’administration de vitamine K IM s’associe à des cancers infantiles comme la leucémie [7].
Une analyse de pratique récente a confirmé que l’administration systématique de vitamine K IM à la naissance prévient l’HCVK en toute efficacité [8]. Même si les décisions cliniques doivent toujours dépendre des meilleures données probantes disponibles, il faut également tenir compte du danger de causer des préjudices au nouveau-né. Aucune complication importante n’a été déclarée après 420 000 injections de vitamine K à des nouveau-nés [9], mais on ne connaît pas les effets psychologiques de la douleur causée par l’intervention pour le nouveau-né (et ses parents). La douleur ressentie pendant la période néonatale peut avoir des effets à long terme [10][11]. Les avantages de l’administration systématique de vitamine K sont confirmés depuis longtemps, mais le mode d’administration le plus efficace n’est pas encore pleinement établi [12]. En soutenant la voie orale pour administrer la vitamine K ainsi qu’une formulation conçue pour un usage parentéral, les recommandations de la SCP de 1988 visaient à offrir tous les avantages apparents de la vitamine K aux nouveau-nés, sans induire de douleur inutile [4][13]. Aujourd’hui, les cliniciens sont plus conscients que jamais des préjudices possibles de l’exposition précoce à la douleur et de la nécessité d’établir des stratégies pour réduire au minimum la douleur dont souffrent les nouveau-nés à cause d’interventions [14].
Afin de prévenir l’HCVK précoce, la SCP recommandait auparavant d’administrer de la vitamine K PO aux mères enceintes qui prenaient des médicaments, notamment des antiépileptiques, qui nuisent au métabolisme de la vitamine K [4]. Cependant, selon une analyse bibliographique systématique sur les antiépileptiques pris pendant la grossesse, effectuée par l’American Academy of Neurology et publiée en 2009, les données probantes étaient insuffisantes pour soutenir la prise de suppléments de vitamine K pendant les dernières semaines de grossesse pour réduire le risque d’HCVK [15].
L’HCVK classique se déclare rarement chez les nouveau-nés qui ont reçu de la vitamine K par voie parentérale à la naissance [12]. Dans deux essais cliniques réalisés dans les années 1960 [8][16], des chercheurs ont comparé diverses doses de vitamine K IM à l’absence de prophylaxie sur les taux d’HCVK classique. Leurs résultats ont clairement démontré que la prophylaxie à la vitamine K réduit l’HCVK de quelque gravité que ce soit en toute efficacité avant l’âge d’une semaine [17][18].
L’HCVK tardive (de l’âge de deux à 12 semaines jusqu’à six mois), qui se déclare presque exclusivement chez des nourrissons allaités, est une affection grave qui se manifeste surtout par une hémorragie intracrânienne [2]. Jusqu’à présent, aucun essai clinique n’a évalué l’effet de la vitamine K sur l’HCVK tardive. Selon des études épidémiologiques effectuées dans plusieurs pays, l’incidence d’HCVK tardive a considérablement diminué grâce à l’adoption des programmes de prophylaxie à la vitamine K. La vitamine K PO semble toutefois moins efficace et s’associe à un taux d’échec plus élevé que la vitamine K IM [6][19]–[21].
Dans les pays où l’administration PO était la principale forme de prophylaxie, l’incidence de HCVK tardive variait entre 1,6 (Royaume-Uni), 1,9 ( Japon), 5,1 (Suède) et 6,4 (Suisse) cas sur 100 000 nourrissons [19]–[22]. Certains de ces nourrissons étaient peut-être atteints d’une affection sous-jacente qui nuisait au métabolisme de la vitamine K [23]. Ainsi, même si le véritable taux d’échec de la vitamine K peut être impossible à calculer à partir de sondages et d’études de surveillance, une étude réalisée en Allemagne [19] estimait l’occurrence d’HCVK tardive à 1,4 cas sur 100 000 nourrissons, malgré une prophylaxie PO. Ce taux d’échec suivait une dose unique PO, par rapport à un taux d’échec de 0,25 cas sur 100 000 nourrissons après une administration IM. Une étude semblable menée au Royaume-Uni [20] a révélé un taux d’échec de 0,42 cas sur 100 000 nourrissons après l’administration d’une dose unique de vitamine K PO. Lorsqu’on comparait l’administration PO et IM de vitamine K dans ces deux études, le risque relatif d’HCVK s’élevait à 28,75 (IC à 95 %, 1,64 à 503,45) et 5,97 (IC à 95 %, 0,54 à 65,82), respectivement [19][20].
Au Canada, on ne connaît pas l’incidence exacte d’HCVK tardive après l’administration de vitamine K PO ou IM. Les rapports du Programme canadien de surveillance pédiatrique entre 1997 et 2000 ont confirmé cinq cas d’HCVK tardive, y compris un nourrisson qui n’avait pas reçu de vitamine K et deux nourrissons qui en avaient reçu PO, pour une incidence estimative de un cas sur 140 000 à 170 000 naissances [24].
Sans apport alimentaire suffisant de vitamine K, une protéine induite (la PIVKA-II) devient mesurable dans le sang. Cette protéine a disparu au bout de cinq jours après l’administration de 1,0 mg de vitamine K PO à la naissance [25], et ce taux ne semble pas différent au cinquième jour, que la vitamine K ait été administrée PO ou IM [26]. Cependant, à l’âge de quatre à six semaines, on observait les signes biochimiques de carence en vitamine K (épreuve de vitamine K1, décarboxyprothrombine) chez jusqu’à 19 % des nouveau-nés qui avaient reçu 2,0 mg de vitamine K PO à la naissance. En comparaison, seulement 5,5 % des nouveau-nés qui avaient reçu 1,0 mg IM démontraient des signes biochimiques d’une telle carence [27]. Une formulation de micelles mélangées pour administrer la vitamine K PO est peut-être mieux absorbée. Malgré tout, une étude a révélé une incidence de carence en vitamine K plus élevée lorsque la vitamine était administrée PO plutôt qu’IM [28]. Une faible corrélation entre les indicateurs biochimiques et les saignements anormaux des nourrissons représente une limite courante de ces études.
Pour résumer, la réussite déclarée de la prophylaxie à la vitamine K PO chez les nouveau-nés [29] est constamment éclipsée par des données appuyant l’utilisation préférentielle de vitamine K IM plutôt que PO aux nouveau-nés. On ne connaît pas clairement les raisons des avantages supplémentaires de l’administration IM, mais ils sont peut-être liés à de meilleures réserves et à une libération lente. Puisque le risque d’HCVK tardive est plus élevé chez les nourrissons allaités exclusivement, il a été postulé que l’administration de vitamine K PO aux femmes allaitantes pourrait être avantageuse [30][31]. Selon une étude danoise, un programme d’administration hebdomadaire de suppléments de vitamine K PO aux nourrissons jusqu’à l’âge de trois mois réduisait l’incidence d’HCVK tardive par rapport à une dose unique PO [32]. Cependant, il n’est probablement pas pratique de respecter une telle posologie, à cause d’une faible observance [33]. Une étude épidémiologique, qui incluait l’Allemagne, l’Australie, les Pays-Bas et la Suisse, a confirmé que trois doses de 1 mg de vitamine K PO étaient moins efficaces que la prophylaxie à la vitamine K IM chez les nouveau-nés, même si une dose quotidienne de 25 microgrammes PO (de l’âge de une à 13 semaines) fonctionne peut-être tout aussi bien après une dose PO initiale de 1 mg [6].
Il est important de souligner que l’injection de vitamine K ne protège pas tout à fait le nourrisson contre l’HCVK, surtout s’il est allaité et que son apport oral de vitamine K est faible [34]. Les dispensateurs de soins devraient envisager rapidement la possibilité d’une carence en vitamine K lorsqu’ils évaluent des saignements de quelque nature que ce soit qui se manifestent avant l’âge de six mois. Un traitement de vitamine K approprié doit alors être amorcé, au besoin.
Étant donné le grand nombre de nouveau-nés nécessaire pour effectuer une étude prospective solide comparant l’efficacité de la vitamine K IM à la vitamine K PO (en répétant ou non les doses), il est peu probable qu’une telle étude ait lieu. De plus, compte tenu du risque plus élevé d’HCVK tardive après une dose unique de vitamine K PO administrée après la naissance par rapport à la vitamine K IM, et des 50 % de risque que les nourrissons atteints d’HCVK tardive présentent une grave hémorragie intracrânienne [27], il semble prudent de privilégier la voie IM. Les doses PO répétées devraient être réservées aux nourrissons dont les parents refusent l’injection de vitamine K à la naissance.
Les nouveau-nés prématurés sont plus vulnérables à l’HCVK à cause de leur immaturité hépatique, du retard de la colonisation intestinale par la microflore et d’autres facteurs. Cependant, les recommandations relatives à la prophylaxie à la vitamine K chez les nouveau-nés prématurés à la naissance varient considérablement pour ce qui est des doses et des voies d’administration [35], et les données sont insuffisantes pour appuyer l’une ou l’autre des pratiques cliniques.
Certains centres administrent la vitamine K par voie intraveineuse (IV) aux nouveau-nés prématurés en soins intensifs afin d’éviter la douleur de l’injection. Dans une petite étude auprès de 14 nouveau-nés prématurés [36], au bout de 24 heures et de 120 heures, une dose unique de 0,3 mg/kg ± 0,1 mg/kg de vitamine K IV procurait un taux plasmatique semblable à celui obtenu après une dose de 1,5 mg PO ou IM [37].
Dans un essai clinique [38], les nouveau-nés prématurés venus au monde à moins de 32 semaines d’âge gestationnel ont été divisés au hasard pour recevoir une dose unique de vitamine K de 0,5 mg IM ou de 0,2 mg IM ou IV à la naissance. Les indices biochimiques du statut de la vitamine K étaient mesurés à la naissance, à l’âge de cinq jours, puis deux semaines après l’obtention d’une pleine alimentation entérale (plus de 150 mL/kg/jour). Les taux sériques de vitamine K1 se situaient au-dessus de la norme physiologique pour tous les nouveau-nés au bout de cinq jours. Au 25e jour, les taux sériques de vitamine K1 avaient diminué chez tous les nouveau-nés, mais beaucoup plus chez ceux qui avaient reçu la vitamine K IV à la naissance. Les différences pharmacocinétiques sont peut-être liées à l’absence de libération soutenue de vitamine K à partir du dépôt musculaire après l’administration IV, ce qui favorise une clairance plus rapide.
La Société canadienne de pédiatrie continue de recommander l’administration systématique de vitamine K aux nouveau-nés, de préférence par injection intramusculaire (IM), afin de prévenir les hémorragies par carence en vitamine K (HCVK).
L’administration systématique d’une dose unique de vitamine K IM (0,5 mg pour les nouveau-nés d’un maximum de 1 500 g ou 1,0 mg pour les nouveau-nés de plus de 1 500 g) à tous les nouveau-nés avant l’âge de six heures et après la stabilisation initiale et les interactions appropriées entre la mère et son nouveau-né, est désormais la pratique exemplaire recommandée.
Il est également recommandé d’adopter des stratégies qui réduisent au minimum la douleur associée à l’injection IM.
Il est préconisé de donner des conseils sur les graves risques liés à l’HCVK aux parents qui refusent l’injection. S’ils continuent d’opposer un refus, les dispensateurs de soins devraient recommander une dose de 2,0 mg de vitamine K par voie orale (PO) au moment du premier boire, puis la reprise de cette dose à l’âge de deux à quatre semaines et de six à huit semaines.
Les dispensateurs de soins devraient informer les parents des faits suivants :
Pour ce qui est des nouveau-nés prématurés en soins intensifs, des données limitées indiquent qu’une dose unique de 0,2 mg par voie intraveineuse (IV) à la naissance n’assurerait pas une aussi bonne protection contre l’HCVK tardive qu’une dose de 0,2 mg ou 0,5 mg de vitamine K IM. Les données probantes actuelles sont donc insuffisantes pour recommander l’utilisation systématique de vitamine K IV au sein de cette population.
Les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis proposent aux parents un excellent document d’information sur la prophylaxie à la vitamine K, en anglais, à l’adresse www.cdc.gov/ncbddd/vitamink/index.html.
Le comité de la pédiatrie communautaire et le comité de la pharmacologie et des substances dangereuses de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes. Les auteurs tiennent aussi à remercier les membres du comité de programme sur les soins de maternité et de périnatalité du Collège des médecins de famille du Canada, qui l’ont également révisé, soit William Ehman, Kate Miller, Sudha Koppula, Balbina Russillo, Amanda Pendergast, Michelle Abou-Khalil (représentante des résidents), Kevin Desmarais et Heather Baxter.
Membres : Mireille Guillot MD, Leonora Hendson MD, Ann Jefferies MD (présidente sortante), Thierry Lacaze-Masmonteil MD (président), Brigitte Lemyre MD, Michael Narvey MD, Leigh Anne Newhook MD (représentante du conseil), Vibhuti Shah MD
Représentants : Radha Chari MD, La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada; James Cummings MD, comité d’étude du foetus et du nouveau-né, American Academy of Pediatrics; William Ehman MD, Le Collège des médecins de famille du Canada; Roxanne Laforge inf., Partenariat des programmes périnatals du Canada; Chantal Nelson Ph. D., Agence de la santé publique du Canada; Eugene Ng MD, section de la médecine néonatale et périnatale de la SCP; Doris Sawatzky-Dickson inf., Association canadienne des infirmières et infirmiers en néonatologie
Auteurs principaux : Eugene Ng MD, Société canadienne de pédiatrie; Amanda Loewy MD, Le Collège des médecins de famille du Canada
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 31 mai 2024